Causette

“L’un de mes modèles éducatifs, c’est MacGyver”

Mara Goyet, écrivaine et professeur­e dans un collège parisien, a apprécié l’inventivit­é qu’il a fallu déployer lors du télé-enseigneme­nt obligatoir­e, cette plongée brutale en terre inconnue.

- Par sanDrine toUrniganD – Illustrati­on Camille besse pour Causette

Causette : l’enseigneme­nt à distance a-t-il réellement poussé les enseignant·es à se diversifie­r ?

Mara Goyet : Dans une certaine mesure. Les moyens étaient beaucoup plus restreints qu’en classe – il ne faut pas idéaliser l’enseigneme­nt virtuel –, mais cette restrictio­n a conduit à tester, bricoler avec encore plus d’ardeur que d’habitude. L’un de mes modèles éducatifs, c’est MacGyver : il fallait recréer la classe avec un écran, un clavier, des images et la voix, puis improviser au fur et à mesure pour que ça marche. J’ai trouvé ça formidable­ment intéressan­t. Il fallait se soumettre au cadre et le dépasser, en jouer et, si possible, le casser un peu. De nombreux parents assistaien­t au cours, cachés dans un coin. Ça change un peu la donne. Mais on a vite fait de l’oublier. Il n’empêche que la boîte noire de la classe a un peu livré de ses secrets.

la classe virtuelle a agi comme une sorte de révélateur ?

M. G. : Les élèves ont vu les professeur­s sortir de leur cadre habituel, essayer des choses, en réussir, en rater, tenter de restaurer des habitudes, en délaisser. De leur côté, les professeur­s ont vu des élèves se révéler, s’emparer de ce type d’enseigneme­nt, tenter de le subvertir ou s’en lasser. Nous nous sommes observés, sur l’écran, en situation d’enseigneme­nt. Les défauts et les qualités ont été affichés. Il y avait quelque chose d’explicite dans notre manière de faire qui a mis en lumière des aspects de l’enseigneme­nt souvent cachés par l’habitude. J’espère que nous en tirerons des leçons.

Ces cours par écrans interposés ont-ils favorisé la prise d’initiative ?

M. G. : Oui, d’abord dans le lien. Une certaine familiarit­é s’est installée. Jamais, au collège, un élève ne quitterait la salle en disant « salut ». Là, ça s’est produit. D’ailleurs, de retour en cours, ils ne l’ont plus fait. Les élèves ont tenté de briser un peu le protocole. C’était drôle. Ils partaient du principe que le professeur est d’une nullité stratosphé­rique en informatiq­ue. Ils n’étaient donc pas avares de conseils et se sont emparés du dispositif, ce qui les impliquait. Avec le petit plaisir d’inverser les rôles.

Et puis, chacun étant chez soi, ils se sont davantage affirmés en tant qu’individus, ce qui a mené à des relations plus sincères.

Certains comporteme­nts vous ont-ils surpris ?

M. G. : Je ne compte plus le nombre de choses qui m’ont étonnée. Le plus touchant, c’est leur souhait à tous, mine de rien, de garder des habitudes prises en cours. Après un moment de découverte, d’enthousias­me, de liberté aussi, les élèves avaient à coeur de recréer nos rituels du collège : les plus grands arrivaient trois minutes après le début du cours virtuel, en vrais ados qui ne veulent pas passer pour des fayots, les sixièmes étaient là vingt minutes à l’avance. Ils dessinaien­t sur le tableau virtuel, levaient le doigt à l’écran, bavardaien­t dans le « tchat » privé, etc. La classe, au collège, restait l’horizon, le cadre.

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