Les start-up dans les starting-blocks
Logiciels, applications de soutien scolaire, carnets de liaison virtuels…, des entreprises du numérique convoitent le marché de l’éducation, non sans controverses.
« on a vu des entreprises écrire aux enseignants, aux directeurs et aux familles pour proposer des offres d’e-learning avec trois mois gratuits… ». À en croire Francette Popineau, porte-parole du SNUipp, syndicat majoritaire dans le primaire, le confinement a réveillé les appétits des entreprises de l’éducation. Non sans succès. Klassroom, appli de carnet de liaison enrichie d’une visioconférence pour parer à d’éventuels reconfinements, assure avoir multiplié par dix ses licences souscrites par des communes à la rentrée 2020. « On ne peut pas s’en réjouir, mais le coronavirus nous a donné un coup d’accélérateur »,
constate Frank-David Cohen, son fondateur, qui assure miser sur le bouche-à-oreille et non sur « des pratiques commerciales agressives ».
L’entrisme des sociétés du numérique sur le marché scolaire a souvent fait polémique. En 2015, des défenseurs du logiciel libre avaient contesté, en vain, un partenariat entre l’Éducation nationale et Microsoft. De fait, en novembre 2019, la ville d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-deSeine), où le groupe a son siège, a offert aux bambins un accès aux logiciels Office dès la maternelle. Depuis le Plan numérique pour l’éducation de 2015, les fabricants aussi se sont régalés. La région GrandEst équipe en ordinateurs HP les élèves de ses lycées « 4.0 ». Rodrigo Arenas, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), s’inquiète de ces stratégies d’acculturation. « Faire pénétrer ces entreprises à l’école, c’est mettre en place un environnement qui rend les enfants dépendants de leurs produits », critique-t-il.
La EdTech, le secteur des start-up de l’éducation, se plaint pourtant de se trouver face à une forteresse inviolable et peu lucrative. « Très peu réussissent à pénétrer le marché centralisé du K-12, pour “Kindergarten to 12 grades” [de la maternelle à la terminale, ndlr], juge Svenia Busson, vice-présidente
“Faire pénétrer ces entreprises à l’école, c’est mettre en place un environnement qui rend les enfants dépendants de leurs produits” Rodrigo Arenas, président de la FCPE
d’EdTech France et fondatrice de LearnSpace, une structure de conseil. Les décisions qui concernent la pédagogie doivent passer par l’Éducation nationale et les start-up n’ont souvent pas les moyens de participer aux appels d’offres. » Pour trouver son business model, une solution consiste alors à « faire payer les parents ».
C’est en partie le choix de Klassroom, qui recrute l’ essentiel des es 830000 utilisateur· ri ces revendiqué· es en contournant « les cadres aux cheveux gris du ministère », tacle Frank-David Cohen. Les profs utilisent gratuitement l’appli et les parents peuvent payer des options « non essentielles » (télécharger des photos, tchater entre eux, etc.). À moins que l’enseignant·e ne compte parmi les « ambassadeurs », dont des blogueur·euses influent·es, qui améliorent le service contre une licence gratuite pour leur classe. D’après son fondateur, certain·es enseignant·es se voient toutefois interdire Klassroom faute de l’aval de leur hiérarchie. « Il y a une forme d’hypocrisie, car le privé est déjà partout à l’école », s’agace Svenia Busson, au motif que les établissements sont déjà courtisés par les vendeurs de mobilier, de calculatrices, les éditeurs de presse… « Pour nous, ça relève de la liberté pédagogique. » Une raison suffisante pour faire de chaque prof la cible d’intenses démarchages ? « Il devrait y avoir un catalogue avec des start-up jugées sérieuses par le ministère dans lequel les profs pourraient piocher », plaide-t-elle. « On n’est pas hostiles au numérique, nuance Francette Popineau, du SNUipp, mais l’Éducation nationale n’est pas un endroit où l’on maîtrise bien les technologies. Or, il faut les connaître parfaitement pour mesurer les risques, d’autant qu’une marchandisation de ces services éloignerait encore certaines familles. On ne peut pas se permettre de ne pas être prudents. »
“Il devrait y avoir un catalogue avec des start-up jugées sérieuses par le ministère dans lequel les profs pourraient piocher” Svenia Busson, vice-présidente d’EdTech France