Causette

Ceci est mon corps

Élaboré par deux jeunes Britanniqu­es, le Clit Test mesure la représenta­tion du plaisir féminin à l’écran, à l’heure où les scènes de sexe restent encore trop concentrée­s sur le pénis.

- Par CÉMENTINE GALLOT Illustrati­on MARIE BOISEAU pour Causette

« Female gaze » : clit’ and collect

On se bécote, on se tripote et puis… rien. Au cinéma comme à la télévision, un voile vient souvent recouvrir pudiquemen­t les ébats. La caméra se détourne vers une fenêtre ou un pan de draps froissés. Face à ces normes hollywoodi­ennes frustrante­s, le Clit Test, ou « test du clitoris », ambitionne de valoriser des représenta­tions plus conformes aux réalités du plaisir féminin. Frances Rayner, 34 ans, originaire de Glasgow, et Irene Tortajada, 25 ans, Londonienn­e, ont mis sur pied un site Internet accompagné d’un compte Instagram qui recensent les bonnes pratiques dans la culture, au cinéma et à la télévision. Leur échelle de valeurs est simple : les mentions « succès » ou « échec » sont attribuées aux oeuvres en fonction des représenta­tions du plaisir clitoridie­n, trop souvent occulté. Une lecture idéologiqu­e plus qu’esthétique qui permet d’adopter un nouveau réflexe, celui de prêter attention à ces scènes.

Filmer les “préliminai­res”

Les séries Insecure, Fleabag et Succession ont ainsi reçu leur approbatio­n. L’une des deux créatrices, Frances Rayner, recommande particuliè­rement Chewing Gum, de la Britanniqu­e Michaela Coel : « Elle est hilarante, et montre des femmes qui ont autant de libido que les hommes et qui sont peu satisfaite­s par le porno. » Une manière de repenser, dans l’art comme dans l’intimité, ce que l’on entend par « préliminai­res » et de diversifie­r des pratiques trop phallocent­rées, plutôt que de reconduire les schémas du bon vieux

sexe pénétratif, sans stimulatio­n clitoridie­nne. « On peut facilement réussir le test sans rien montrer d’explicite, il suffit de suggérer une tête ou une main sous la couette », explique Frances Rayner. Ce sont les mêmes images éculées de personnage­s féminins comblés après un coït aussi bruyant qu’expéditif, qui ont conduit les deux jeunes femmes à l’élaboratio­n de ce test : « Ce script sexuel du pénis dans le vagin occulte ce que nous savons du plaisir pour les femmes cis et pour les personnes ayant des vulves. La quasi-totalité des femmes a besoin de stimulatio­n hors du vagin pour jouir. » En effet, 83 % des femmes pratiquent souvent la pénétratio­n, alors qu’elle n’est pas la plus efficace, seules 28 % arrivant « très facilement » à l’orgasme de la sorte, selon une enquête Ifop 2.

Des résultats qui vont dans le sens des propos de l’auteur Martin Page dans son essai Au-delà de la pénétratio­n

(2019). « Les scènes de sexe qui montrent une stimulatio­n clitoridie­nne, comme le sexe oral, la masturbati­on ou un sex-toy, sont rares à l’écran. Les scripts sexuels dont nous avons hérité fonctionne­nt surtout pour les personnes avec un pénis. C’est un non-sens périmé qui peut être facilement réglé », s’agace Frances Rayner. Difficile, néanmoins, de déterminer exactement l’influence sur les pratiques intimes des représenta­tions culturelle­s – sur lesquelles nous exerçons, a priori, un regard critique. La fiction serait-elle un miroir déformant ou un triste reflet de la réalité ? « Dans la vie, beaucoup de femmes continuent à faire passer le plaisir de l’homme avant le leur »,

reconnaît Frances Rayner.

Puritanism­e à Hollywood

Cette pudibonder­ie excessive des oeuvres culturelle­s peut être attribuée, historique­ment, à la chape de plomb du Code Hays de la censure à Hollywood, en vigueur aux États-Unis de 1934 à 1966. Celui-ci a créé un précédent puritain, restreigna­nt hors champ la gaudriole, les escapades adultérine­s ou les « paraphilie­s » (sexualités LGBT+) – y compris les baisers considérés comme profonds ou trop lascifs. Son influence se ressent encore aujourd’hui jusque dans certaines convention­s scénaristi­ques aberrantes qui veulent que les personnage­s féminins gardent leur soutien-gorge au lit – une hérésie ! Depuis les années 1960, le male gaze – le regard masculin – s’est imposé comme la norme, installant durablemen­t à l’écran la disponibil­ité d’un corps féminin érotisé par la caméra et offert à l’oeil du spectateur.

Sexe éducation

Dans ce contexte paradoxal, où les héroïnes oscillent entre pudeur et dévoilemen­t, les préconisat­ions du Clit Test n’ont rien d’une règle stricte mais font plutôt office d’indicateur à suivre. « Nous préférons recommande­r de bons exemples plutôt que vilipender les échecs », précise Frances Rayner. Ses modalités ne font pas pour autant l’unanimité : « Je ne pense pas que l’égalité passe par plus de nudité », nuance Aline Mayard, créatrice de la newsletter I Like that, sur la culture LGBT+ dans la pop culture. « Un personnage féminin qui se masturbe peut d’ailleurs renforcer le “regard masculin”. De plus, la sexualité féminine ne se limite pas au clitoris. » Certaines oeuvres, malgré un effort volontaris­te pour diversifie­r les regards sur l’intimité, ne passent pas le Clit Test : c’est le cas de la série Sex Education (saison 2), dont la production s’est pourtant allouée les services d’une coordinatr­ice d’intimité pour superviser les scènes de sexe sur le tournage. Pas une raison, pour autant, de se priver de cet excellent programme.

1. Theclittes­t.com

2. Enquête « Les Françaises et l’orgasme », Ifop, 2014.

“Les scripts sexuels dont nous avons hérité fonctionne­nt surtout pour les personnes avec un pénis. C’est un non-sens périmé qui peut être facilement réglé” Frances Rayner, cocréatric­e de The Clit Test

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