Causette

Tournez ménages

- Par ALICE CARLSSON – Photo LAURA LAFON pour Causette

Une pour deux, deux pour une

Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sentimenta­l pour comprendre comment les visions divergente­s de chacun·e n’empêchent pas (toujours) le ménage de tourner. Dans cet épisode, Lise* n’imaginait pas qu’elle pourrait un jour être deux fois en couple. Joseph* l’a aidée à franchir le pas et à vivre pleinement ses deux relations.

« Quand j’ai craqué pour Joseph en 2009, il savait déjà que j’étais bisexuelle, car j’avais eu une histoire avec une bonne amie à lui. Comme tant d’autres, on a fini par emménager ensemble, puis on a eu deux filles : elles ont 6 et 8 ans. La vie était un beau fleuve tranquille. Que demander de plus ? Le job de fleuriste dont j’avais toujours rêvé, un conjoint avec qui partager mille choses sans jamais se lasser… Intellectu­ellement et sexuelleme­nt, j’étais comblée. Tout pour être heureuse, comme on dit.

Je n’avais juste pas prévu que je rencontrer­ais Amina*. Ça s’est passé en plein après-midi : je lisais Doris Lessing seule en terrasse, elle avait un entretien profession­nel à deux tables de là… Quand son rendez-vous est parti, elle a planté son regard dans le mien et je me suis sentie chanceler.

Ce jour-là, on a juste bu du thé et échangé nos numéros. Il fallait que je parle d’abord à Joseph. Je lui ai raconté le coup de foudre, l’envie de vivre cette histoire, ma peur de le perdre lui. Il m’a serrée fort et m’a dit qu’il voulait juste que je sois heureuse. Alors un soir, après avoir couché nos filles avec lui, je suis allée dîner chez Amina, à quelques rues de chez nous. Joseph m’avait juste demandé une chose : le prévenir si je décidais de passer la nuit là-bas. Et c’est ce qui s’est produit.

C’était au printemps 2016. Peu à peu, j’ai senti que je ne pourrais plus me passer d’Amina… tout en continuant d’aimer follement Joseph. J’ai commencé à aller la voir de plus en plus souvent, toujours en accord avec lui. Au bout de quelques mois, je les ai présenté·es… En à peine cinq minutes, le malaise a laissé place à la bonne humeur.

Le soir même, alors qu’on rentrait tous les deux, Joseph a pris les devants : il a proposé qu’on planifie mes allées et venues plus en amont, en s’excusant pour l’absence de romantisme de cette propositio­n. Moi, au contraire, j’ai trouvé ça trop romantique, cet homme qui m’aime tellement qu’il est prêt à me partager.

Depuis, je vis une douzaine de jours par mois avec Amina, et le reste du temps avec Joseph et les filles. Chaque retrouvail­le d’un côté ou de l’autre est une si grande joie ! On a trouvé un équilibre assez insensé, et je sais que je le dois au dialogue prodigieux qui s’est installé entre nous trois. »

“Chaque retrouvail­le d’un côté ou de l’autre est une si grande joie!”

« Quand Lise m’a annoncé qu’elle avait rencontré quelqu’un, j’ai cru qu’elle allait me quitter. Sauf que ce n’était pas du tout son intention. On n’avait jamais vraiment parlé de ça avant, probableme­nt parce que l’occasion ne s’était jamais présentée, mais à demi-mot, elle me demandait comment je vivrais le fait qu’elle ait une autre histoire parallèlem­ent à la nôtre. J’avais peur qu’elle soit tombée sur quelqu’un de pas bien, que ce soit le premier pas vers la rupture… Mais je lui ai dit de foncer. Mes angoisses ? On en a parlé après, posément, et ça a rendu tout ça très sain.

Au final, je crois que tout le monde a eu beaucoup de chance. Amina est une meuf merveilleu­se, Lise est plus épanouie que jamais et elle n’a toujours pas l’air d’avoir envie de me quitter… Tout ça se passe très simplement, avec beaucoup de respect. On a synchronis­é nos agendas, Lise sait toujours où et avec qui elle va passer les prochains jours et en cas d’imprévu ou d’envie qui change, on sait que rien n’est gravé dans le marbre.

J’avais une autre appréhensi­on : que nos filles finissent par en vouloir à leur mère, qu’elles se sentent délaissées, qu’elles ne comprennen­t pas notre schéma. Avec Lise, on a vite compris que les enfants n’étaient pas aussi réacs que les adultes, pour peu qu’on s’y prenne tôt… Tout ça leur semble très naturel, et comme leur mère n’est qu’à deux pâtés de maisons de chez nous, elles peuvent demander à la voir si elles ont besoin de lui raconter des trucs ou de lui faire des câlins. Ma vie est géniale. Lorsque Lise est là, on passe des moments privilégié­s, et quand elle est avec Amina, je m’occupe des filles et j’ai plaisir à être seul. J’avais oublié que je pouvais aimer la solitude à ce point… Je me suis même remis à lire, ce que je n’arrive pas à faire quand Lise est à la maison, puisque j’ai tout le temps envie de parler et de sortir avec elle.

Quand je raconte notre histoire, les gens me regardent souvent avec un air contrit, comme si j’étais le dindon de la farce. Je crois que personne n’a autant de pitié pour les femmes qui élèvent leurs enfants seules parce que leurs maris travaillen­t trop ou se sont tirés. Les choses sont pourtant simples : je vais super bien et ma femme est comblée. »

* Les prénoms ont été modifiés.

“Mes angoisses? On en a parlé après, posément, et ça a rendu tout ça très sain”

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