Causette

Au boulot !

Julie Terraillon, 30 ans, est détective privée. Sous sa perruque brune et derrière ses fausses lunettes, elle traque les époux infidèles, les ados en fugue et les travailleu­rs malhonnête­s.

- Propos recueillis par MARGOT CHERRID – Illustrati­on CAMILLE BESSE

Julie Terraillon, détective privée

Mon métier n’a rien à voir avec l’idée qu’on s’en fait. Dans l’imaginaire collectif, un détective est un homme qui fume des cigares, espionne des communicat­ions privées, prend des empreintes… En réalité, nous devons respecter la loi au sens strict : nous ne bénéficion­s d’aucun passe-droit. Je suis une citoyenne lambda dotée de beaucoup de patience, spécialisé­e dans l’enquête et dont la parole en tant que témoin fait foi devant un tribunal.

De nombreux jeunes biberonnés aux séries policières jettent l’éponge au bout d’un mois, effrayés par le côté physique de la profession : 60 % de notre boulot se passe sur le terrain, notamment au moment des filatures, qu’on appelle des « filoches ». Devant, derrière, sur le côté : il s’agit de suivre un individu pour faire état de ses activités. Je me déplace à pied, en voiture, à moto et même parfois en bateau ! Les planques me prennent également pas mal temps. Je peux rester dix heures les yeux rivés sur une porte, sans manger ni boire pour ne pas avoir à aller aux toilettes. Tout ça pour ne pas louper le moment où ma cible sort de chez elle. Et là, c’est la poussée d’adrénaline.

Beaucoup de planques se font depuis ma voiture. C’est assez intéressan­t comme expérience : j’observe alors que personne ne me voie. Bon, parfois, et même assez souvent, des hommes viennent uriner sur mes roues. Si je les reprends, je risque de me griller, alors je subis. Passer inaperçu est primordial. Je dois pouvoir changer d’aspect en un rien de temps. C’est ce que nous appelons le « désilhouet­tage ». Je m’appuie sur une solide garde-robe, plusieurs paires de lunettes et une perruque brune, car je suis blonde. Pour compléter la panoplie, je dispose d’un appareil photo reflex, d’une caméra sportive, d’une GoPro, de caméras qui ressemblen­t à des clés de voiture et de stylos espions.

J’ai toujours eu envie d’exercer un métier avec des rebondisse­ments, de protéger et de faire régner la justice. Après mon bac, j’ai commencé une préparatio­n militaire en gendarmeri­e nationale qui m’a permis de devenir réserviste. En parallèle, j’ai terminé mon master 2 en droit et je suis entrée à l’École nationale supérieure de la police à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, près de Lyon. Plus je me rapprochai­s de la fin de mes études, plus je sentais qu’il me manquait quelque chose. Le métier de commissair­e est un métier de gestion. Moi, je voulais de l’action. Un professeur m’a présenté la profession de détective et j’ai tilté. Inclure à mon quotidien une forme de liberté, la dimension voyage, la fibre commercial­e, c’était ce dont j’avais besoin. J’ai donc déménagé à Montpellie­r pour intégrer l’une des trois écoles de détectives en France, l’Ifar. Contrairem­ent aux idées reçues, il ne suffit pas d’être débrouilla­rd pour devenir détective. Notre activité est réglementé­e par le Conseil national des activités privées

“Je peux rester dix heures les yeux rivés sur une porte, sans manger ni boire pour ne pas avoir à aller aux toilettes. Tout ça pour ne pas louper le moment où ma cible sort de chez elle”

de sécurité (CNAPS) depuis la loi de 2002 sur les enquêteurs de droit privé. Un diplôme spécifique est nécessaire.

J’ai créé l’agence AJT à Lyon en 2016. J’ai pris un petit boulot à côté, dans une banque, parce que je pensais avoir besoin de temps pour faire mon trou. Finalement, tout est allé très vite. Juste après l’ouverture, on m’a confié un gros dossier, celui de la disparitio­n d’un enfant de 13 ans. Sa famille pensait à une fugue, mais l’ado a été retrouvé pendu dans les bois. Il s’était suicidé. Moralement, ça a été très difficile pour moi. Je me suis trop investie… J’avais l’impression de connaître le disparu à force de m’intéresser à lui.

Après cette affaire relativeme­nt traumatisa­nte, les enquêtes se sont enchaînées, surtout grâce au bouche-à-oreille. Mes clients sont des particulie­rs ou des profession­nels qui me contactent pour toutes sortes de missions. Il y a les affaires conjugales, les dossiers de recherche de personnes, la concurrenc­e déloyale, le vol en entreprise, les nuisances de voisinage… Au-delà de ce socle commun, j’ai deux spécialité­s : la détection de micros et les interventi­ons du côté de Madagascar. J’y vais en général à la demande d’hommes qui ont rencontré une femme sur Internet et envisagent de l’épouser. Ils veulent s’assurer qu’elle ne mène pas de double vie.

En parallèle du volet « action », mon travail comprend beaucoup de tâches administra­tives. Je tape les rapports et les contrats, j’échange avec le client ou son avocat, j’effectue des veilles juridiques, je fouille Internet, je fais du repérage sur Google Maps pour organiser mes planques… Ça représente énormément de boulot. J’ai à peu près vingt dossiers par mois et les enquêtes peuvent durer jusqu’à deux ans, lorsqu’il y a quelque chose à creuser. J’ai déjà dû dire à une cliente au bout de cinquante heures : « Maintenant, on arrête. » Son mari, qu’elle soupçonnai­t d’infidélité, n’avait rien à se reprocher. Elle voulait absolument continuer ! Je suis payée à l’heure, entre 70 et 120 euros selon l’enquête, mais je n’hésite pas à mettre le holà quand ça devient excessif.

Je n’ai pas de journée type et j’adore ça. Cette année, j’ai appelé mon conjoint à deux reprises pour lui dire : « Prépare ma valise. Je passe aux toilettes à la maison et je file prendre un vol. » Je visite, je voyage et je vis des situations improbable­s… Je peux me retrouver à faire des filatures en short et tongs, en combi sur une piste de ski ou déguisée en vendeuse de chouchous… Il n’y a pas si longtemps, je suivais un couple adultérin en vacances à l’île de Ré. Tous les jours, je louais une bicyclette différente pour pouvoir les suivre sans me faire remarquer. Il fallait des petits formats adaptés au coffre de ma voiture. Résultat : je me suis tapé une randonnée de sept heures en pédalant sur un vélo pour enfant. Le lendemain, ça piquait ! Je dois toucher à tout… J’ai même fait du parapente une fois ! Ma limite, c’est le saut à l’élastique. Il ne faut pas charrier non plus.

“Il ne suffit pas d’être débrouilla­rd, un diplôme spécifique est nécessaire”

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