Food porn, du gras plein les yeux
DU GRAS PLEIN LES YEUX Sur les réseaux sociaux, la nourriture fait l’objet d’un véritable culte. Le sucré, le huilé, le juteux s’exposent dans une mise en scène qui confine à l’érotisme. Quand l’image culinaire s’exhibe, de nombreux·euses voyeur·euses se
Lancez une recherche sur Instagram avec le mot-clé #foodporn : 256 millions de publications vont s’afficher. Une profusion de pizzas, burgers, gâteaux et canapés. Immortaliser et partager ses plats sur les réseaux sociaux s’est imposé comme une tendance visuelle depuis une dizaine d’années. Grâce à ses filtres qui permettent de sublimer les images, Instagram est la plateforme par excellence où publier du food porn. Rien de sexuel dans cette pratique… quoique. La mise en scène alléchante, stylisée, voire sexy de la nourriture rappelle les codes de l’érotisme et joue sur le
plaisir visuel pour faire saliver l’audience. La surabondance de clichés, tous plus appétissants les uns que les autres, titille les sens et attise le désir.
« C’est pas parce qu’on photographie son plat et qu’on le partage qu’on fait du food porn. C’est la coulure – sauce, goutte – qui crée le parallèle avec le sexe », nuance la photographe et réalisatrice Mathilde de l’Ecotais. Elle qui shoote la nourriture depuis 1999 a créé, avec le chef Thierry Marx, le Media Social Food, une formation aux métiers de l’image culinaire pour les jeunes en décrochage scolaire. « Mes photos sont à l’opposé du food porn, mais je peux porter ce regard si besoin pour une commande. Pas besoin de beaucoup d’imagination : des allusions sexuelles, je peux en voir partout.
“C’est la coulure – sauce, goutte – qui crée le parallèle avec le sexe”
Mathilde de l’Ecotais, photographe
Un abricot pour les fesses, une cerise pour le clitoris... Et puis tant mieux si le plaisir des pupilles déclenche l’envie des papilles grâce à la puissance de la photographie. »
Montrer la nourriture comme le porno montre l’acte sexuel, avec un goût pour le gros plan, voilà un mécanisme que la publicité a su exploiter, bien avant les réseaux sociaux. L’expression « Food Pornography », « pornographie culinaire », apparaît en 1984, dans le livre Female Desire, de Rosalind Coward. Pour la journaliste, ce terme désigne la manière dont les magazines « mettent en valeur la nourriture grâce à des photos magnifiquement éclairées et très retouchées ». Avec les smartphones, présenter son assiette de manière esthétisée devient à la portée de tout le monde, chez soi comme au restaurant. Certain·es y prennent tellement goût qu’ils ou elles finissent par manger froid.
Cette pornographie alimentaire dit quelque chose de notre rapport à la nourriture et au numérique. La qualité d’un plat se mesure désormais au nombre de likes et non plus en fonction de son propre goût. Sur l’écran, on mange avec les yeux en faisant défiler les images. Bonne nouvelle : ce plaisir coupable ne fait pas grossir. Mauvaise nouvelle : le terme « food porn » prend progressivement une connotation négative, pour dénoncer une nourriture calorique. On retrouve cette surenchère de gourmandise sur Facebook, avec des vidéos de recettes déclinées à l’envi. L’indigestion n’est pas loin.
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