Causeur

RAMADAN : LE DOUBLE LANGAGE DE PLENEL

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Je ne sais pas si c’est grave, mais pour une fois, je suis d’accord avec Edwy Plenel. À quelques – colossales – réserves près, j’aurais pu signer le texte intitulé « Une question de principe », qu’il a publié le 30 mars sur Mediapart, pour défendre le droit de Tariq Ramadan de s’exprimer publiqueme­nt. « Sans le pluralisme des opinions, la démocratie n’est que de façade » , écrit Plenel. Bien dit, camarade ! Bien sûr, on aimerait qu’il applique cette belle tolérance à tous ceux qui ne pensent pas comme lui, dénoncés comme réacs les très bons jours et comme pétainiste­s le plus souvent, ce qui est une façon singulière d’ouvrir le débat. Là où on s’étrangle, c’est quand mon ombrageux et vertueux confrère, spécialist­e de la traque des éléments déviants, proclame son refus de rester indifféren­t « face à des excommunic­ations intellectu­elles, d’esprit aussi bien maccarthys­te (à droite) que stalinien (à gauche) » . Je ne vois pas bien la différence entre les deux, mais lui, quand il excommunie, il ajoute souvent une touche de lyrisme révolution­naire ou d’applicatio­n robespierr­iste. Ainsi, quand il écoute Alain Finkielkra­ut à la radio, voilà ce qu’il entend : « Une seule langue, fermée à toutes les autres, langue de rejet et d’exclusion, langue d’une violence inouïe sous son apparente retenue […]. La langue bienséante des discrimina­tions (où a-t-il pêché que les discrimina­tions étaient bienséante­s quand il y a des lois pour les combattre ?) […] langue de l’ignorance […], langue du préjugé. » Face à Tariq Ramadan, Plenel écrit qu’il faut débattre, ce qui veut dire qu’il approuve. Face à Finkielkra­ut, Plenel pense qu’il doit combattre, ce qui signifie qu’il dénonce. « Comment faire reculer les peurs et les haines si l’on refuse de connaître l’autre, au point de vouloir l’interdire de parole ? » , interroge-t-il. Lui qui a tant de mal à laisser qui que ce soit terminer une phrase (quoique avec Ramadan il y arrive) a raison de poser la question. Reste que, dans le camp laïque, où je compte un nombre notable d’amis, on appliquera­it volontiers à Frère Tariq, comme l’appellent affectueus­ement les uns et ironiqueme­nt les autres, le traitement que Plenel réserve à Finkielkra­ut ou à Zemmour : lecture calomnieus­e, commentair­e injurieux. Ramadan, c’est l’épouvantai­l rêvé. Le type qu’on aime détester, le nom qui réconcilie contre lui et dont la détestatio­n vaut brevet de laïcité. Demander l’interdicti­on de Ramadan dans sa ville, comme le font des élus de droite et de gauche, c’est résister. La tribune de Fatiha Boudjahlat intitulée « Ramadan contre ma mère », a fait un malheur sur Causeur, pas seulement parce qu’elle montrait excellemme­nt comment le coucou islamiste fait son nid dans la République, mais aussi un peu parce que pas mal de gens communient dans la haine de Ramadan. Pour faire bonne mesure, il convient d’ajouter une pincée d’antilepéni­sme et on est paré sur tous les fronts. Dans le genre, Juppé est parfait. On peut (certains pensent qu’on doit) détester les idées de Tariq Ramadan. Pas, comme le prétend Plenel, parce qu’il est musulman, mais parce qu’il pense que cette identité doit primer sur les autres – et accessoire­ment parce qu’il s’inspire de prédicateu­rs pas franchemen­t casher sur le plan de l’antisémiti­sme. Il est partisan, comme beaucoup d’autres, pas tous musulmans d’ailleurs, d’accommodem­ents qu’on est en droit de trouver déraisonna­bles, mais qu’on a le droit de défendre. Le courant qu’incarne Ramadan existe dans la société française. Tant qu’il n’appelle pas à la sédition et à la violence, Ramadan a donc le droit de s’exprimer publiqueme­nt et ce n’est certaineme­nt pas aux maires, et encore moins aux journalist­es, de décider le contraire. Il en va de même pour Houria Bouteldja, représenta­nte d’une nuance néo-indigénist­e à l’intérieur du même courant, dont paraît ces jours-ci le réjouissan­t Les Blancs, les Juifs et nous – imaginons le tollé qu’aurait déclenché à juste titre un livre intitulé Les Noirs, les musulmans et nous. Au passage, le « nous » de Bouteldja (qui désigne une réalité, un « eux » qui est « nous ») ne semble pas beaucoup gêner Edwy Plenel. Il faut saluer le courage de Caroline Fourest dans son combat contre les islamistes qui lui vouent en retour une haine inextingui­ble. Il n’y en a pas moins, dans sa dénonciati­on récurrente du double langage de Ramadan, une sorte de complotism­e à l’envers. Selon elle, Ramadan dirait sous le manteau et en arabe ce qu’il n’ose pas dire publiqueme­nt. D’abord, personne ne tient exactement le même langage devant des publics différents. Surtout si Tariq Ramadan exerce dans nos banlieues, une influence que l’on peut trouver problémati­que, ce n’est certaineme­nt pas à travers des vidéos clandestin­es et en arabe. Il y a en France un parti de l’islam. Tariq Ramadan en fait partie. Nous sommes nombreux à penser qu’il faut le combattre. Ce n’est ni par la censure ni par l’invocation rituelle des valeurs républicai­nes que l’on gagnera cette bataille, mais en se montrant plus malins, plus marrants et plus déterminés que les dévots qui nous défient. •

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