Causeur

LES AVENTURES DE BAVARD

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Taisez-vous, mon président travaille. Et c’est pas de tout repos, comme boulot. Je n’ai pas tout compris, mais il paraît que c’est pour l’histoire, il peaufine la trace qu’il y laissera. On l’apprend ces joursci, à peine installé à l’élysée François Hollande a dépensé une énergie considérab­le pour sculpter sa statue, comme s’il espérait faire disparaîtr­e par la magie du verbe le Hollande réel, celui que 15 % des Français disent vouloir reconduire à l’élysée. Sauf qu’à l’arrivée, la statue – formée par cinq ou six livres de potins qui paraissent en librairie – est aussi normale et impopulair­e que l’original. Cherchez l’erreur. Quand le président travaille pour l’histoire, ça se voit tout de suite : il piapiate avec des journalist­es, qu’il nourrit de vacheries et autres bons mots sur les uns ou les autres, plutôt que de considérat­ions de haute tenue sur la marche du monde. Le genre de trucs qu’on se raconte entre copines en se faisant les ongles : Machine, c’est à cause de son mec qu’elle m’a pourri la vie (en l’occurrence, il s’agit de Cécile Duflot, dont le président impute les incartades à l’influence de son compagnon). Même style très nature sur sa promesse d’inverser la courbe du chômage : « Je n’ai pas eu de bol. Mais ça aurait pu marcher. » En tirant au sort parmi toutes les politiques possibles aussi, ça aurait pu marcher. L’histoire retiendra que « monsieur petites blagues » est devenu le « président pas de bol ». Je ne voudrais pas faire ma populiste, moi la France, mais je l’ai un peu mauvaise. Je croyais que mon président s’épuisait à la tâche pour moi, je me sentais coupable en pensant que si ça se trouve, avec tous ces terroriste­s, il n’avait même pas le temps de manger. Et je découvre qu’il passe des heures à bavarder avec des confrères. Pas un ou deux, cinq ou six. Et il ne les a pas reçus une fois, mais des dizaines. Off à gogo, scoop pour tous ou presque. C’est peut-être parce qu’il a beaucoup d’ennemis à gauche que le président ne veut pas en avoir dans la presse – il paraît qu’il ne dit jamais rien à un journalist­e, j’aurais dû tenter ma chance. Bien sûr, à ce rythme, le cours de la confidence exclusive est au plus bas et les livres publiés « pour l’histoire » prennent la poussière chez les libraires. N’empêche, s’il aime tant jouer les commentate­urs, Hollande aurait dû faire journalist­e, plutôt que président. Le plus énervant, c’est qu’il parle beaucoup plus de lui que de moi (moi la France, faut suivre !). Pourtant, il avait fait don de sa personne à ma pomme qu’il disait. Et puis, c’est une drôle de façon d’entrer dans l’histoire que de nous inviter dans sa cuisine intime. Comme si, ayant renoncé à inspirer le respect par sa fonction, il ne se souciait plus que d’attirer la sympathie sur sa personne. Et même pour ça, c’est raté. Calculateu­r, sans vision, obsédé par ses rivaux : cet exercice de transparen­ce volontaire ne le montre pas vraiment à son avantage. Car non seulement le roi est nu, mais c’est lui qui s’époumone à nous le faire savoir. Vous, je ne sais pas, mais moi je trouve ce barnum éditorial un peu humiliant. Après tout, c’est lui qui cause au monde en mon nom. En société, un peu de discrétion ne nuit pas, comme dirait Chevènemen­t. Cependant, je pensais qu’au moins, maintenant, il nous épargnerai­t ses leçons de morale. Que nenni ! Il a raconté à ses honorables correspond­ants du Monde comment il comptait gagner les élections : en se présentant comme le garant de la démocratie, contre le terrorisme djihadiste, d’une part, contre les tentations autoritair­es de qui vous savez de l’autre. Et là, sauf le respect que je dois à mon président et chef des armées, c’est du foutage de gueule. Il danse sur la table en petite tenue, et après il me joue l’air de « moi ou la dictature » ! Sans compter qu’il prend un risque, et moi aussi par la même occasion. Confrontés à cette affligeant­e alternativ­e, on ne sait pas ce que choisiraie­nt les Français. •

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