Causeur

MANUEL VALLS

LE PARTI OU LE PAYS, IL FAUT CHOISIR

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Je sais, cet éditorial prend des airs de courrier du coeur, mais après tout, c'est mon année. En mai, moi la France, je choisirai celui qui aura le privilège de se faire engueuler par ma pomme pendant les cinq prochaines années. Celui ou celle, d'accord, que croyez-vous, j'ai l'esprit large. Seulement, là, je suis paumée. Le mois dernier, je vous ai entretenu de ma liaison passionnée avec Sarko, mais ça, c'est du passé, et Hollande aussi, avec lui ça n'a jamais vraiment collé. Alors bien sûr, pas mal de mes tantes aimeraient me marier avec ce Fillon, si bien élevé, mais vous me connaissez, j'ai horreur qu'on me dicte ma conduite. Et puis, le bal des prétendant­s ne dure que quelques mois, pendant lesquels tous vont faire assaut d'imaginatio­n et de gracieuset­é pour me séduire, alors autant en profiter. Puisqu'on en est aux choses intimes, je dois vous faire part de mes doutes, voire de ma déception, au sujet de l'un d'eux, ce petit Valls. Je ne vous le cache pas, il me plaisait bien, le Manu, en dépit ou peut-être à cause de son genre un peu brute avec un zeste de dinguerie – j'ai une copine, dont je tairai le nom car elle pourrait avoir à retravaill­er avec lui, qui l'a surnommé « Colibri courroucé » après avoir été témoin de ses poussées colériques. N'empêche, quand il célébrait la République avec les accents de son modèle, Clemenceau, je me sentais protégée contre les barbus qui rôdaient. Valls, c'était la gauche de l'autorité et de la laïcité, celle que les autres accusaient d'être réac. Ça me rassurait, il n'allait pas passer son temps, comme pas mal de ses copains, à casser tous les vieux trucs que j'aime. Alors, quand Le Point a publié sa photo en une avec comme titre « La gauche Finkielkra­ut », j'avais envie d'y croire. Je n'en suis pas très fière, mais le fait qu'il agaçait terribleme­nt toute sa famille, où il y a pas mal de dindons prétentieu­x, me le rendait encore plus sympathiqu­e. Il y a eu un moment où c'était un jeu de massacre, chaque semaine il leur rentrait dedans, un coup sur les trente-cinq heures, un coup sur le regroupeme­nt familial. Un jour, il leur a même balancé, au cours d'une réunion, qu'ils allaient mourir s'ils continuaie­nt comme ça. À chaque fois, c'était le même charivari : il n'est pas de gauche ! Il a trahi la gauche ! Et moi, entendant ça, j'avais terribleme­nt envie de le prendre dans mes bras. Logique, puisque, depuis que j'affirme mon intention de persévérer dans mon être, on prétend que je me droitise. Depuis quelques mois, je l'avais un peu perdu de vue. D'abord, je suis très demandée. Et puis je commençais à me demander si son genre République des Jules et des hussards noirs n'était pas un peu bidonné. De toute façon, il jouait les bons fils et, avec son père qui rôdait, je n'étais même pas sûre qu'il allait se déclarer. On ne peut pas dire qu'il ait fait preuve de sensibleri­e exagérée quand il a fallu le tuer, ce père. Je ne suis pas sûre d'avoir beaucoup apprécié ce spectacle, mais en même temps, pour m'avoir, il faut payer le prix. Et puis, un peu de tragédie ne nuit pas. C'est après ça que ça s'est gâté. D'abord, la demande en mariage était franchemen­t ratée : une salle moche, des invités figés et manifestem­ent choisis selon la méthode des quotas, des discours ennuyeux. Un désastre. Et voilà que, quelques jours plus tard, il se pointe à France Inter avec sa gueule pas encore enfarinée pour annoncer qu'il va me piquer mon 49-3, parce que maintenant, c'est la société de la participat­ion (et tu veux pas mon zéro-six en prime ?). Il y croit vraiment, à ses sornettes citoyennes ? Moi je sais bien ce que ça veut dire : si jamais il le faisait pour de bon, piquer mon 49-3, on me demanderai­t mon avis toute la journée et tout ce bla-bla servirait surtout à ne rien faire. Depuis, je vais de déception en déconvenue. On dirait qu'il se fiche de me plaire. Ce qui compte, pour lui, c'est de montrer aux gens de sa famille qu'il est comme eux. De jour en jour, il perd le charme particulie­r qui faisait que j'aurais peut-être pu m'encanaille­r avec lui. J'ai fini par comprendre : ce n'est pas moi qu'il courtise mais sa cousine la gauche. À cause du jeu tordu qu'ils appellent primaire. Et allez comprendre, s'il plaît à sa cousine, il pourra enfin s'occuper de moi. Pardon, mais il me prend pour une autre ? Désolée, cher Manuel, mais il faut te décider : c'est elle ou moi, la gauche ou la France. Ton pays ou ton parti. Ton copain Macron, lui, a déjà choisi. Et quant à moi, promis, j'arrête de vous embêter avec mes romances à deux sous. À moins que… •

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