C'EST LE LIBÉRALISME QU'IL FAUT DÉDIABOLISER !
Alors que le national-populisme de Jean-luc Mélenchon se rapproche toujours plus de celui de Marine Le Pen, le président Macron se doit d'unifier autour de lui l'ensemble du camp libéral-mondialiste en le libérant du carcan des vieux partis.
Ainsi donc, cette élection présidentielle aura vu à la fois la désignation du successeur de François Hollande, Emmanuel Macron, et l’émergence du nouvel épouvantail des « antisystème », à savoir le grand méchant libéralisme. Avec un paradoxe : de Marine Le Pen à Jean-luc Mélenchon, jamais le vent antilibéral n’aura soufflé aussi fort, jusqu’à l’hystérie. Et pourtant, les Français ont porté à l’élysée un libéral assumé ! Pire, un ancien banquier, alors même qu’hollande avait été élu il y a cinq ans sur l’air de « mon ennemi, c’est le monde de la finance ».
La recomposition du paysage politique français est en voie d’achèvement : le clivage droite-gauche se voit remplacé par le clivage mondialistes de tous poils contre nationaux de toutes obédiences, des nostalgiques de Jeanne d’arc à ceux de Robespierre. Le premier à s’être assis sur le clivage droite-gauche est naturellement Macron : d’emblée, il a entendu rassembler les « progressistes » de gauche, de droite et du centre, tous ceux qui sont prêts à adapter le « cher et vieux pays » du général de Gaulle à la modernité libérale.
Mais on n’a pas assez relevé la métamorphose de Jeanluc Mélenchon. Derrière son nouveau masque humaniste, le chantre de la « France insoumise » s’est livré à une délocalisation hardie : la sienne ! Fini le temps où il prétendait « fédérer la gauche ». Fini le temps où
il chantait L’internationale ! Cela l’avait conduit à une impasse, à un score faiblard en 2012, loin derrière Marine Le Pen. Désormais, il entend « rassembler le peuple ». Désormais, il n’entonne plus que La Marseillaise. Osons la formule : Mélenchon a rejoint le front national. Pas le parti fondé par Jean-marie Le Pen, bien sûr, mais la cohorte des antimondialistes.
En 2012, Mélenchon s’était conduit comme le premier adversaire de Marine Le Pen, allant jusqu’à la défier aux élections législatives, dans le Pas-de-calais. C’était le temps où la gauche radicale se voulait d’abord une gauche « antifaf ». Quelle différence avec 2017 ! Le leader de La France insoumise a certes demandé à ses troupes de ne pas donner une seule voix à la représentante du FN. Mais il a favorisé l’explosion du vote blanc et signifié que son adversaire principal s’appelait désormais Macron. Tout faire pour l’empêcher d’appliquer son programme : voilà désormais la mission que s’assigne Mélenchon.
C’est sur cette base qu’il a failli être présent au second tour de la présidentielle : la reconversion des antifafs en antilibs… « Le libéralisme ne passera pas » a remplacé « le fascisme ne passera pas ». Non seulement Mélenchon a changé de partition, mais il peut espérer prendre le leadership du pôle populiste. Avec François Fillon, Marine Le Pen est en effet la grande battue de cette élection. Au premier tour, elle a fait un score objectivement médiocre, 21 %, loin de celui du FN aux dernières élections régionales, 28 %. Alors même que le FN était traditionnellement plus haut à la présidentielle qu’aux élections territoriales. Au second tour, elle a pâti de son comportement calamiteux lors du débat avec Macron pour finir loin de la barre des 40 % que lui promettaient, dans un premier temps, les sondages. Le soir du second tour, Marine Le Pen a annoncé qu’elle comptait changer l’enseigne de la maison que lui a cédée son père. Ultime erreur ! Au moment où Mélenchon rejoint le front national, elle veut débaptiser le Front national. En interne, même sans Marion Maréchal-le Pen un « autre FN » existe. La tante a d’autant plus de souci à se faire que son antilibéralisme contrevient à L’ADN du FN : Jean-marie Le Pen était un vrai libéral, bien plus qu’un Jacques Chirac.
Mélenchon peut d’autant plus espérer rallier la majorité des « nationaux » que son camp d’origine, lui, est homogène. Son antilibéralisme obsessionnel est dans la ligne de l’anticapitalisme primaire qui a longtemps prévalu à gauche avant l’effondrement de L’URSS et la conversion de la Chine à l’économie de marché. Quant à l’antifascisme de la gauche radicale, il a souvent connu des éclipses... Notamment en Allemagne au temps de l’ascension d’hitler…
D’une xénophobie, l’autre : le fait que le camp national soit peut-être en passe de changer de porte-drapeau signifie que l’étranger diabolisé a lui aussi changé. Avec les Le Pen, père et fille, en dépit de leurs différences sur le plan économique, c’était le Maghrébin. Au-delà du terrorisme islamique, il se voyait accuser de vouloir imposer son mode de vie à la société hexagonale. Avec Mélenchon, ce sont le monde anglo-saxon et le monde germanique qui sont ouvertement accusés de vouloir imposer à la France des Lumières leur mode de fonctionnement.
Non aux diktats de la City et de la Bundesbank ! Le libéralisme ? Pas français ! À la confluence des divers courants nationaux, Régis Debray a récemment dénoncé le libéralisme économique comme « une greffe du protestantisme américain sur L’ADN culturel français […]. Les cathos deviennent à retardement les enfants de la Réforme. C’est plus qu’une inflexion, une acculturation. Le Latin se fait doucement anglo-saxon1. » Autrement dit, le « grand remplacement » dont serait menacée la France devient moins celui dénoncé du côté de l’extrême droite par Renaud Camus que celui rejeté depuis toujours du côté de l’extrême gauche : celui de la religion de l’état par la religion du marché.
La relativisation du danger islamiste et la grande peur du libéralisme intégral refaçonnent les poussées populistes. Les catégories populaires traditionnelles refusent toujours la cohabitation avec les musulmans, mais se ressentent avant tout comme les oubliées de la mondialisation. Un peu partout en Europe, notamment en Allemagne, les extrêmes droites piétinent. Aux Étatsunis, pays du 11 septembre, Trump s’est fait élire en dénonçant assez peu les pays musulmans mais beaucoup la Chine et le Mexique. Là-bas, ce n’est pas le libéralisme qui est en accusation, mais le libre-échangisme. Dans ces conditions, Emmanuel Macron a gagné une bataille, mais il lui reste à gagner la guerre. Pas les élections législatives, même si cette échéance sera délicate à négocier : le camp libéral-mondialiste reste à unifier, les Républicains rêvent de revanche, croyant toujours à tort la droite traditionnelle majoritaire en France. La véritable épreuve de force interviendra ensuite, avec la réforme du marché du travail que Macron entend faire voter au pas de charge, par ordonnances. Mélenchon et les siens vont hurler à la mort du modèle français. Nul doute qu’ils ne reculeront devant aucun moyen – y compris la violence – pour s’y opposer.
Au niveau syndical, la CFDT vient de passer devant la CGT. Dans les enquêtes d’opinion, les Français plébiscitent désormais l’entreprise au détriment de l’état. Mais trop de libéralisme tuerait dans l’oeuf la tentation libérale sur laquelle Macron a habilement surfé. À lui de montrer que les exclus de la mondialisation, souffrant au premier chef d’un déficit de créations d’emploi, ont tout à gagner à davantage de flexibilité et moins de rigidités. Pour convaincre, Macron devra avancer à pas aussi résolus que… comptés. •
1. In Le Point du 27 novembre 2014.