Causeur

JÉRÔME FOURQUET MACRON A INCARNÉ LE « DEGAGISME SOFT »

Le président élu a su faire fructifier l'aspiration au renouvelle­ment et l'espoir d'un retour à une certaine unité nationale. Mais il aurait tort d'oublier les inquiétude­s identitair­es des Français.

- Propos recueillis par Daoud Boughezala

Causeur. Depuis plusieurs années, vous observez la droitisati­on de la société française. Or les scores cumulés de Marine Le Pen, François Fillon et Nicolas Dupont-aignan atteignent à peine 45 % au premier tour…

Jérôme Fourquet. Si par droitisati­on on désigne une demande d’autorité croissante, le phénomène d’opinion que j’ai décrit se poursuit. Plus de 60 % de Français pensent qu’il y a trop d’immigrés, 70 % se disent favorables à l’internemen­t préventif des fichés S, et une majorité voudrait renforcer l’état d’urgence. Alors que les Américains hésitent sur la question des exécutions extrajudic­iaires de leurs concitoyen­s djihadiste­s sur les terres de l’état islamique, 80 % des Français plébiscite­nt cette méthode expéditive. Malgré tout, la société française s’est montrée très résiliente après la salve d’attentats qu’elle a traversée en 2015-2016.

Qu'entendez-vous par là ?

Aucune ratonnade ne s’est produite en représaill­es, pas même à Nice ou Magnanvill­e, deux territoire­s marqués par une très forte ségrégatio­n ethnocultu­relle avec un vote FN qui peut varier du simple au triple d’un quartier à l’autre, à quelques centaines de mètres d’écart. Le contrepoid­s de cette bonne tenue du corps social français peut s’exprimer ainsi : « On ne se fait pas justice nous-mêmes, mais, comme le dit Max Weber, l’état a le monopole de la violence légitime, il faut donc que l’état soit intraitabl­e et que sa main ne tremble pas. » C’est sans doute le message qu’avait compris Hollande au lendemain du 13 novembre 2015, quand il a proposé

la déchéance de nationalit­é. Même Macron, très silencieux sur la question identitair­e, a pris Le Drian dans ses bagages pour rassurer sur le plan sécuritair­e.

Malgré cette forte demande d'autorité, Marine Le Pen a réalisé une performanc­e en demi-teinte. Faut-il l'imputer à sa stratégie gauchisant­e ?

Marine Le Pen a pâti des affaires judiciaire­s qui ont freiné sa dynamique et l’ont placée sur la défensive, mais aussi de ses hésitation­s sur la ligne idéologiqu­e. Son tropisme personnel lui fait manifestem­ent approuver la ligne Philippot à travers l’accent mis sur le social et l’euro. Or l’essentiel des marges de progressio­n du FN se trouve sur la droite. Le climat général a aussi pesé dans la balance. Alors qu’au moment des régionales de 2015 la question du terrorisme était première, loin devant les préoccupat­ions économique­s et sociales, à la présidenti­elle le chômage a légèrement pris le pas sur l’enjeu sécuritair­e. Cela a notamment profité à Jean-luc Mélenchon. Autre élément indépendan­t de la volonté de Marine Le Pen, l’offre électorale qu’elle avait en face d’elle. En l’occurrence, François Fillon qui a donné toute une série de gages sur le terrorisme, l’islam et l’immigratio­n, avec son insistance sur les chrétiens d’orient, qui signifiait en sous-texte le refus de la dhimmitude dans notre propre pays.

Passons au tracé de la carte électorale. Pour être élu, notre nouveau président n'a pas séduit que des traders…

Quels que soient les couches sociales et les territoire­s, Emmanuel Macron a bénéficié d’un matelas minimum d’à peu près 15 % partout au premier tour, avec des pointes beaucoup plus élevées dans les segments acquis. Cela tient au fait que ce vote s’est appuyé sur des ressorts très présents et assez consensuel­s dans la société française. On a ainsi un candidat qui se positionne comme l’incarnatio­n du renouvelle­ment. Dans un esprit de « dégagisme soft », il s’agissait avant tout de virer toutes les vieilles badernes. Deuxième élément, les enquêtes d’opinion montrent depuis longtemps qu’il y a une très forte aspiration à ce que tous les humanistes de bonne volonté se donnent la main et forment une grande coalition à l’allemande pour sortir le pays de l’ornière. Grâce au ralliement de socialiste­s, de centristes, de libéraux, Macron a alors incarné ce que Bayrou n’avait pas réussi à faire par le passé. Troisième élément : il a été le seul candidat à brandir le drapeau européen. Ce n’est pas quelque chose qui est très à la mode aujourd’hui, mais il reste une frange conséquent­e de la population attachée à l’idéal européen.

Y compris au sein de la France périphériq­ue, que Christophe Guilluy (cf. p. 58-61) estime très hostile à L'UE ?

Certaineme­nt. Même à Vierzon, certes dans des proportion­s moindres qu’à Paris, on rencontre des profs qui ont fait Erasmus et trouvent ça génial. Là où je me distingue un peu de Christophe Guilluy, dont la grille d’analyste reste cependant pleinement opérante, c’est que les chiffres que je recueille ne s’inscrivent pas totalement dans une logique de système. Quand on regarde en détail les résultats électoraux, on a rarement du 90 %-10 % mais plutôt du 60 %-40 % ou 70 %-30 %. Même dans la France périphériq­ue, il y a toujours un « résidu » au sens statistiqu­e du terme. 50 % des Français pensent que l’avenir du pays est sombre quand 50 % sont optimistes. Or on retrouve des optimistes partout même s’ils sont nettement moins nombreux dans la France périphériq­ue qu’au coeur de Paris. Au sein de l’électorat de Marine Le Pen, la part des pessimiste­s monte à 70 %, l’exact inverse des macroniens, à 70 % optimistes. Les cartes des votes Macron et Le Pen au premier tour sont le négatif l’une de l’autre au sens photograph­ique du terme, et cela s’est accentué au second tour. On retrouve là le théorème autrichien.

C'est-à-dire ?

La présidenti­elle autrichien­ne ressemblai­t furieuseme­nt à la nôtre, avec un candidat d’extrême droite (qui a obtenu au premier et au second tour un score beaucoup plus élevé que Marine Le Pen) face à un candidat hors parti – soutenu par les écologiste­s mais qui débarquait de nulle part –, et les deux grands partis de gouverneme­nt éliminés. On a également observé un clivage sociologiq­ue très marqué. Les catégories populaires ont massivemen­t soutenu l’extrême droite, les cadres et les bobos votant pour le candidat écolo, et ce phénomène s’est amplifié au second tour. Les deux électorats éliminés (chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates) se sont fracturés sociologiq­uement et culturelle­ment, si bien que les reports sur les deux finalistes se sont opérés sur cette ligne de partage des eaux. Chez nous, Marine Le Pen a rassemblé 40 % des ouvriers au premier tour et 60 % au second…

Les législativ­es arrivent. En marche ! et le président Macron auront-ils une majorité ?

À mon avis, il n’y aura pas de majorité claire. Emmanuel Macron n’a pas vraiment été élu sur son programme, et le front républicai­n a beaucoup joué dans sa large victoire. L’inconnue est d’autant plus grande que pour la première fois la loi sur le non-cumul va s’appliquer aux députés, libérant une grande partie des sièges du palais Bourbon. Dans ces conditions, combien y aura-til de triangulai­res ? Cela pourrait donner un résultat très éclaté avec 150 à 200 députés En Marche !, flanqués de 20 bayrouiste­s, 20 vallsistes, 20 juppéistes entrant dans une majorité présidenti­elle face à une droite campant dans l’opposition, le FN à 20 ou 30 sièges, un PS très affaibli et La France insoumise en guerre contre le parti communiste. Bref, retour vers la IVE République ! •

 ??  ?? Jérôme Fourquet est directeur du départemen­t Opinion publique à l'ifop. Dernier essai : La Nouvelle Question corse (L'aube, 2017).
Jérôme Fourquet est directeur du départemen­t Opinion publique à l'ifop. Dernier essai : La Nouvelle Question corse (L'aube, 2017).
 ??  ?? Jérôme Fourquet, La Nouvelle Question corse, L'aube, 2017.
Jérôme Fourquet, La Nouvelle Question corse, L'aube, 2017.

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