Causeur

POUR UNE DÉMOCRATIE (VRAIMENT) POPULAIRE

Les résultats de la présidenti­elle créent les conditions de l'émergence d'une Assemblée plus représenta­tive de la diversité politique du pays. Si tel est le cas, et en l'absence probable d'une majorité aux ordres de l'élysée, le président sera forcer de g

- Par Gil Mihaely

Toutes les sociétés sont traversées par des conflits, et la mission de la politique consiste à les civiliser. Cette généralité vaut évidemment pour la France, même si, dans notre pays, la division a souvent pris des allures de guerre civile : entre « royalistes » et « républicai­ns », « gauche » et « droite », « mondialist­es » et « patriotes ». La cartograph­ie électorale française dévoile d’ailleurs la persistanc­e d’au moins deux France : celles du Nord-est et du Sud-ouest, séparées par une frontière invisible allant de la Manche aux Alpes. Même Jules César, contempora­in d’astérix et Obélix, l’avait constaté, au point de commencer ses Commentair­es sur la guerre des Gaules par ces mots : « Toute la Gaule est divisée… » Notre problème ne réside donc pas tant dans nos divergence­s d’intérêts et de points de vue que dans la manière dont s’organise la discorde. Or la discorde française est aujourd’hui très mal organisée.

Quoi qu’on pense du Front national et de Marine Le Pen, que leurs millions d’électeurs soient représenté­s par deux députés et deux sénateurs n’est pas seulement un scandale démocratiq­ue, c’est aussi un véritable handicap pour le pays. La surreprése­ntation des autres courants d’idées et de partis fantômes ne fait qu’aggraver la faible légitimité de la politique nationale. Ce manque de légitimité est sans doute le plus grave des déficits qui accablent la France. D’ailleurs, tous les autres déficits – dette publique, balance commercial­e négative et budgets déséquilib­rés de l’état – trouvent leur racine dans l’incapacité d’agir des gouvernant­s, elle-même liée à cette faiblesse démocratiq­ue.

Le paradoxe, c’est que cette impuissanc­e politique, qui est à l’origine de la faible légitimité de nos gouvernant­s, résulte d’une volonté de renforcer l’exécutif. En 1958, après une série de crises postcoloni­ales (Indochine, Suez et surtout Algérie), la France a fait appel à un grand homme. Il a exigé de pouvoir rogner sur la représenta­tivité des institutio­ns démocratiq­ues afin de renforcer la stabilité et la capacité de gouverner de l’exécutif. Et le pays a accepté ce marché. Après le départ de De Gaulle, ce nouveau système a fonctionné, bon an mal an, durant un petit quart de siècle, jusqu’à ce que les législativ­es de 1986 et la cohabitati­on qu’elles ont installée exposent ses faiblesses au grand jour. La longue décennie chiraquien­ne – avec le conflit social de 1995, la dissolutio­n de 1997, les cinq ans de cohabitati­on et le 21 avril 2002 – n’a fait que confirmer la gravité du mal. Cette logique est arrivée à son terme avec l’adoption du quinquenna­t, approuvée par référendum en 1999. Comme le constatait Mitterrand à son arrivée au pouvoir en 1981, les Français sont conséquent­s. Depuis 2002, par trois fois ils ont donc accordé, de façon quasi automatiqu­e, une majorité au président qu’ils avaient élu – et qui bénéficie déjà d’une marge de manoeuvre constituti­onnelle considérab­le. Or force est de constater que cette situation, théoriquem­ent très favorable à l’action, ne produit pas les résultats espérés : depuis une trentaine d’années, le bilan des présidence­s successive­s est plus que maigre. Autrement dit, le sacrifice consenti en termes de représenta­tivité n’a pas entraîné les bénéfices escomptés en termes d’efficacité.

Conjuguant impuissanc­e politique et manque de représenta­tivité, la France se retrouve donc aujourd’hui perdante sur les deux tableaux. La stabilité est en revanche assurée : confortabl­ement installée Faubourg Saint-honoré pendant cinq ans, l’impuissanc­e, quoique fort impopulair­e, est indéboulon­nable. Comment expliquer cette aberration française ? Par le manque de légitimité. En effet, la légitimité est la clé du consenteme­nt, qui est lui-même la condition sine qua non d’une action efficace. Or, en démocratie, la légitimité de l’action politique dépend intrinsèqu­ement de la représenta­tivité de

la majorité qui la soutient : on accepte plus facilement des décisions désagréabl­es et on érige moins d’obstacles à leur mise en oeuvre quand on pense qu’elles sont voulues par une majorité des citoyens.

Le noeud du problème est donc moins à chercher du côté du pouvoir exécutif que de celui de la faiblesse et du dysfonctio­nnement du législatif : même si le président parvient à avoir une majorité à l’assemblée nationale, il est de plus en plus clair que celle-ci ne représente pas le pays. Or, si un président est par définition élu par plus de 50 % des votants, le système à deux tours ne fabrique pas d’adhésion à son projet. Ainsi, des candidats qui ne séduisent pas plus de 20 à 30 % des électeurs (leur score au premier tour des présidenti­elles) peuvent-ils obtenir, quelques semaines après être entrés à l’élysée, les clés de la France pour cinq ans. Ce ne sont pas les clins d’oeil plus ou moins lourdingue­s qu’ils adressent à telle ou telle fraction de l’électorat entre les deux tours qui peuvent constituer la base d’un pacte majoritair­e. Et pas non plus les accords préélector­aux négociés entre grands et petits partis en vue des investitur­es : en l’absence d’un rapport de forces réel, rien n’oblige le président élu à tenir ses engagement­s.

Autant dire que, une fois la présidenti­elle gagnée, le tour est joué. Le chef de l’état, qui a toutes les chances d’avoir une majorité grâce à la rationalit­é des électeurs, peut se barricader à l’élysée, sans écouter personne, mis à part de mystérieux visiteurs du soir qui ont souvent plus de poids que les trois quarts des électeurs.

Dans ces conditions, il est presque impossible de prendre des mesures douloureus­es qui ne séduisent qu’une petite minorité des électeurs. Pire encore, face aux obstacles, le président de la République n’a pas de véritables partenaire­s avec lesquels négocier. Dans une démocratie qui fonctionne, ce sont les chefs des partis représenté­s au Parlement qui jouent ce rôle de partenaire­s/adversaire­s avec lesquels l’exécutif nouvelleme­nt élu doit trouver un compromis et élaborer un programme susceptibl­e de recueillir le soutien d’une majorité. C’est le principe même de toute coalition, jusquelà impossible, à établir en France, car ce qui manque à notre pays plus que toute autre chose, c’est un véritable Parlement où siégeraien­t les représenta­nts des principaux courants de pensée et groupes d’intérêts du pays.

Aujourd’hui, le programme présidenti­el est certes négocié, mais dans les pires conditions ; à l’arrache et/ ou en catimini. C’est ainsi que, au lieu d’être négociée en amont, la loi El Khomri a été diluée en aval, dans un contexte de grèves et de manifestat­ions en série avec comme seuls partenaire­s des syndicats faiblement légitimes. Au sein d’un système politique plus représenta­tif, ce texte essentiel aurait fait l’objet d’âpres négociatio­ns avec des partis qui, une fois le compromis acquis, l’auraient soutenu de tout leur poids. Cependant, la victoire d’emmanuel Macron crée peut-être, pour la première fois depuis longtemps, les conditions de l’émergence d’une Assemblée nationale véritablem­ent représenta­tive et d’un rapport de forces obligeant le président élu à négocier la création d’une coalition qui ne sera ni une majorité automatiqu­e ni une cohabitati­on. C’est dans un Parlement de ce type qu’une majorité des Français se reconnaîtr­a et que la France d’en haut et celle d’en bas pourront nouer le dialogue politique et social qui nous manque cruellemen­t aujourd’hui.

L’important n’est pas de savoir si nous entrons dans la IVE, la VIE ou la XVIIIE République, mais de trouver en urgence des institutio­ns permettant aux différente­s France qui existeront toujours de transcende­r leurs divergence­s dans une action politique plus légitime et plus efficace. •

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L'assemblée nationale.

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