Causeur

LA FÊTE EST DÉJÀ FINIE

Tous les milieux d'affaires de la planète ont salué l'élection d'emmanuel Macron. Mais cette euphorie ne durera pas, trop de catastroph­es se profilent. La crise italienne menace la zone euro, la Chine va bientôt plonger et l'algérie s'apprête à exploser…

- Par Jean-luc Gréau

Démentant le diagnostic d’un bon esprit qui pensait que le quinquenna­t de François Hollande scellerait « l’agonie du mensonge mitterrand­ien1 », un concours de circonstan­ces inouï a permis l’élection d’un héritier du président qui a placé la France dans la double souricière de l’euro et de l’europe : le mitterrand­isme a survécu, quelque temps encore, à son mensonge et à sa faillite.

L’élection du 7 mai confirme le pronostic que j’avais hasardé dans ces colonnes, pensant que la France serait encore une fois à contre-courant2. En 1981, elle avait désigné un président appuyé sur un programme à demi marxiste, à rebours de l’angleterre de Margaret Thatcher et de l’amérique de Ronald Reagan. Aujourd’hui, elle installe un homme appuyé par les milieux d’affaires de Wall Street et de la City avec l’espoir qu’il pourra contrecarr­er les projets de Donald Trump et surtout ceux de Theresa May.

Je laisse le soin aux meilleurs plumes politiques de Causeur d’expliciter le scénario qui a conduit au scrutin du 7 mai. Deux points me sont apparus cependant avec force durant la campagne : premièreme­nt, les véritables élections primaires sont médiatique­s, deuxièmeme­nt, la France vit dans le passé.

Ce sont les médias ralliés dès le premier tour en proportion de neuf sur dix à la candidatur­e d’emmanuel Macron, qui ont porté sur le pavois un homme étroitemen­t associé à la gestion du président sortant, avant de le soutenir au second tour dans une proportion qui frise les cent pour cent. Les candidats issus des primaires républicai­nes ont été soit flingués à mort par leurs soins, soit enterrés avec le parti socialiste disqualifi­é par cinq années de pouvoir. « How to do much about nothing », « beaucoup de bruit pour rien » aurait dit Shakespear­e de l’épisode des primaires. Mais surtout que reste-t-il réellement de la démocratie dont les médias se veulent la garde prétorienn­e si le pluralisme a cessé d’être ?

La France vit dans le passé. Le passé du Front populaire de 1936 : « No pasarán. » Celui du traité de Rome dont le 60e anniversai­re vient d’être commémoré : « L’europe est notre destin. » Celui du programme commun de 1972 ressuscité par Hamon et Mélenchon pour les besoins de leur campagne. Celui du big bang thatchérie­n de 1978 : « There is no alternativ­e. » Celui de l’antiracism­e militant des années 1980 : « Touche pas à mon pote. » Celui du traité de Maastricht ratifié en 1992 : « L’euro est notre bouclier. » Le vote du 7 mai, qui a confirmé un personnage dont les grands soutiens affichent une moyenne d’âge de 70 ans, se trouve au confluent de ces anachronis­mes et de ces illusions.

Reste que le nouveau président s’installe dans une France, une Europe et un monde où les défis se sont multipliés depuis la chute providenti­elle du mur de Berlin. Laissant de côté les questions géopolitiq­ues, la Corée du Nord, le monde arabe en convulsion, le terrorisme islamique, je m’en tiendrai à trois crises inscrites en filigrane à l’agenda présidenti­el : la crise italienne, la crise chinoise et la crise algérienne.

La crise italienne

Qu’on ne m’accuse pas d’être encore et toujours l’oiseau de mauvais augure de l’idéal européen. Le moral des partisans de l’euro et de l’europe est au plus bas. On peut enfin lire, sous leur plume, des tribunes sur la crise existentie­lle de la constructi­on européenne et des mises en garde contre les fragilités révélées par l’expérience de la monnaie unique. Ils imaginent une Europe à plusieurs vitesses, ils font l’hypothèse d’une autre Europe qui réconcilie­rait les continenta­ux et les Anglais, ils avancent encore l’idée d’une mutualisat­ion des dettes des pays pauvres et des pays riches. Ils tablent sur une alliance sacrée entre Macron et Schulz pour redonner du lustre au bâtiment défraîchi de la constructi­on européenne.

Leurs exercices de futurologi­e à la mie de pain oublient l’essentiel. N’y a-t-il pas de nouveaux risques prêts à se manifester dans un proche avenir ? Si fait, un risque bancaire et un risque politique.

L’agence chargée de la supervisio­n des banques de la zone euro évalue à mille milliards d’euros le montant total des prêts fragiles gardés dans leurs comptes. Des prêts très inégalemen­t répartis : les proportion­s sont de 47 % pour la Grèce3, 16 % pour l’italie, 14 % pour l’irlande, malgré le sauvetage massif des banques irlandaise­s mené en 2011, 6 % pour l’espagne4. La nature particuliè­re du système fait qu’on ne peut cantonner une crise à son pays d’origine. Or, pour l’instant, c’est l’italie qui présente le risque majeur pour la zone euro et le reste du monde. Une solution impliquant l’interventi­on de ses partenaire­s semble avoir été repoussée au-delà des grandes échéances politiques française et allemande. Elle implique en effet de nouvelles injections de fonds publics qui contredira­ient les règles de la nouvelle Union bancaire européenne.

Le risque politique découle de la montée en puissance en Italie de la gauche de la gauche, le Mouvement 5 étoiles, et de la droite de la droite, la Ligue du →

L'agence chargée de la supervisio­n des banques de la zone euro évalue à mille milliards d'euros le montant total des prêts fragiles gardés dans leurs comptes.

Nord, qui ont rompu avec l’euro et l’europe. Il se situe dans un contexte de désamour des Italiens pour l’expérience européenne qu’ils ne sont plus qu’une petite moitié à approuver, contre 80 % il y a dix ans, et plus encore, de scepticism­e du patronat italien, de moins en moins convaincu des bienfaits de la monnaie unique. Le scrutin législatif projeté en 2018 dira si les Italiens sont prêts à sauter le pas qui les sépare d’un retour à la souveraine­té monétaire.

Les dettes pourries des entreprise­s chinoises

La crise chinoise n’en finit pas de se faire attendre. Cela fait cinq ans au moins que les signaux d’alarme ont commencé à résonner, d’abord à bas bruit, puis sur un mode plus insistant. Le schéma de cette crise est des plus simples à comprendre. Il est un symétrique et inverse de celui de la crise américaine de 2008. Le séisme américain a procédé d’une surconsomm­ation et d’un surendette­ment des ménages sur un territoire allant de la Floride jusqu’à la Californie. Celui que nous promet la Chine prend sa source dans un surinvesti­ssement et un surendette­ment des entreprise­s chinoises.

Certains s’en étonneront. Ne dit-on pas, ici et là, que la Chine est en train de passer d’un modèle basé sur l’investisse­ment à un modèle fondé sur la consommati­on ? Les chiffres nous disent au contraire que l’investisse­ment reste disproport­ionné, pour ne pas dire extravagan­t : il représente 45 % du PIB contre 34 % en 2000. Son moteur est l’effort massif d’infrastruc­tures : les Chinois construise­nt chaque année plus de routes, d’autoroutes, de lignes de TGV, d’aéroports.

À ce stade, il y a trois choses à comprendre. Premièreme­nt : le surinvesti­ssement induit une consommati­on additionne­lle – chose constammen­t oubliée par les économiste­s du FMI ou de L’OCDE, et bien d’autres – qui en masque la disproport­ion. Deuxièmeme­nt : il s’appuie sur un endettemen­t massif des entreprise­s qui y contribuen­t directemen­t ou indirectem­ent : 170 % du PIB (à titre de comparaiso­n, en 2008, la dette des ménages américains représenta­it 100 % du PIB). Troisièmem­ent : les dirigeants politiques sont pris au piège : le seul fait de stabiliser les dépenses d’infrastruc­tures à leur niveau actuel aurait pour effet de provoquer une récession, par ses effets secondaire­s sur l’investisse­ment des entreprise­s et la consommati­on. Les autorités financière­s chinoises en sont consciente­s. Le président de l’autorité de régulation bancaire, Guo Shuqing – retenez son nom –, a tiré le signal d’alarme contre le « chaos qui menace », allant jusqu’à mettre sa tête sur le billot. « Si je ne préviens pas le chaos, je démissionn­erai. » Il n’est donc pas sûr que la question des dettes pourries puisse attendre le 19e congrès du PC chinois, programmé en novembre prochain, qui doit reconduire le président Xi. En toute hypothèse, le chaos financier dont parle Guo Shuqing ébranlerai­t une nouvelle fois la mondialisa­tion après la grande secousse de 2008.

La crise algérienne

Vos quotidiens se gardent bien de le dire. L’algérie a raté son indépendan­ce. Sur le plan politique : ce pays, plus souverain juridiquem­ent que la France engluée dans l’europe, est aux mains d’une nomenklatu­ra militaire et civile. Sur le terrain économique et financier, sa survie dépend chaque année un peu plus de sa production de pétrole et de gaz – troisième production mondiale après la Russie et l’iran. Les hydrocarbu­res représente­nt 98 % des exportatio­ns.

Mais c’est aujourd’hui un pays de 40 millions d’habitants dont une majorité de jeunes qui n’ont d’autres perspectiv­es que des petits boulots liés à la consommati­on, les prébendes ou sinécures procurées par le régime ou l’émigration vers la France. Les cerveaux des jeunes Algériens sont hantés par l’image des visas qui permettrai­ent de basculer de l’autre côté de la Méditerran­ée5. En effet, mal informés par leurs compatriot­es installés chez nous, ils pensent que la France, dotée de la protection sociale la plus coûteuse de la planète, a les moyens de les accueillir par millions.

Le prochain quinquenna­t verra la disparitio­n d’abdelaziz Bouteflika. Alors, ou bien une personnali­té providenti­elle apparaîtra qui fera ce qu’auraient dû faire ses prédécesse­urs, purger l’administra­tion et l’armée, et donner le pouvoir économique aux entreprene­urs privés, tout en appelant à la restrictio­n des naissances, contre les homélies des imams, ou bien le chaos s’installera et, à sa faveur, une nouvelle opposition islamiste tentera de s’imposer à Alger la Blanche. Des côtes algérienne­s pourraient alors s’élancer des milliers d’embarcatio­ns de nouveaux migrants.

Comment le président pourrait-il s’opposer à leur arrivée ? L’occasion sera venue d’expier les fautes de la colonisati­on, en accueillan­t des population­s dont on a opprimé les aïeux. Les médias y veilleront jour et nuit.

Quos vult perdere Jupiter dementat, « ceux que Jupiter veut perdre, il les aveugle » Le propos concerne au premier chef Marine Le Pen. Après un parcours sans faute qui avait conduit son parti, réorganisé sous sa direction, au rang de premier parti de France, elle a accumulé les fautes majeures

Les dépenses d'investisse­ment chinoises restent disproport­ionnées, pour ne pas dire extravagan­tes : elles représente­nt actuelleme­nt 45 % du PIB contre 34 % en 2000.

durant sa campagne. D’abord en inventant une priorité à l’emploi des nationaux, inutile et incongrue, qui l’exposait un peu plus à l’incriminat­ion de xénophobie. Ensuite en louvoyant sur la question de la monnaie unique, avec l’idée d’une monnaie commune surajoutée à la monnaie nationale restaurée, dans le but d’accueillir Nicolas Dupont-aignan et d’adoucir les critiques de la presse bourgeoise de droite. Enfin, en affichant une violence verbale dont elle n’est pas coutumière, à l’occasion du débat du 3 mai, alors que Macron avait demandé le rejet de sa candidatur­e au nom d’une violence présumée du FN qu’on n’a guère vue dans les communes administré­es par lui. Trois fautes qu’il lui sera difficile de racheter.

Il concerne aussi son rival victorieux. L’individu ne doute de rien. Une chance insolente l’a accompagné, le portant en quelques années d’un statut de serviteur de la banque Rothschild à celui de chef d’un État vieux de huit siècles. Quand on est glorifié par neuf médias hexagonaux sur dix, par le New York Times, le Wall Street Journal, le Guardian et bien d’autres encore, quand on a été rallié par toute la nomenklatu­ra politique et économique de ces quarante dernières années, d’alain Madelin à Cohn-bendit en passant par Pierre Gattaz, peut-on encore garder les pieds sur terre ?

Pour faire face au dérèglemen­t de l’esprit qui le menace, il aurait besoin de s’appuyer sur une culture historique ou littéraire. Mais ses discours révèlent le creux abyssal du personnage là où les difficulté­s du temps voudraient qu’apparaisse un Bonaparte économique et politique. Où ira la France sous la férule d’emmanuel Macron ? Les tenants du système nous ont mis en garde après le 23 avril : « Macron ou le chaos. » Et si c’était « Macron et le chaos » ? •

1. Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, p. 157, éditions Stock, 2016. 2. Voir Causeur n° 44, mars 2017, « Candidat des milliardai­res, et des sous-prolétaire­s ». 3. La faillite consommée des banques grecques est traitée dans le cadre des aides périodique­s reçues par l'état grec au titre de son plan de sauvetage. 4. Le gros des risques est concentré dans la 3e banque du pays, Banco Popular. 5. Par quoi nous voyons le caractère provocateu­r et grotesque de la posture d'emmanuel Macron quand il a imputé à la France « un crime contre l'humanité commis en Algérie ».

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Emmanuel Macron célèbre sa victoire au Louvre, 7 mai 2017.
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