Causeur

LES INFORTUNÉS DE LA VERTU

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D'accord, ils l'ont bien cherché. Si on n'avait pas bon coeur, et surtout si tout le pays ne risquait pas d'être embarqué dans une épuisante entreprise d'épuration permanente, on s'amuserait de voir nos nouveaux gouvernant­s pris en moins d'un mois dans la nasse ridicule qu'ils ont contribué à tisser pour d'autres. La morale, c'est chouette pour faire le beau sur les estrades, mais c'est comme cracher en l'air : ça vous retombe dessus. Et quand ça dégouline sur vos jolis souliers et vos airs proprets, ça semble plutôt gluant. En tout cas, cette folle course à la vertu, qui s'est accélérée depuis la primaire de la droite en novembre, fait penser à des dodos de bande dessinée, vous savez ces oiseaux idiots qui courent avec entrain vers le suicide collectif.

Ne revenons pas sur François Fillon et son malheureux « Imaginez-vous le général de Gaulle mis en examen ? » : en deux mois c'était plié. François Bayrou, alors, n'avait pas de mots assez durs pour un homme qu'il disait « inféodé aux forces de l'argent », et toute la Macronie, drapée dans sa supposée pureté, regardait avec une hauteur un brin compatissa­nte ce vieux monde où les intérêts privés venaient se superposer et parfois se substituer au service du public. « Au-delà de savoir si ce qu'il a fait est légal, les Français se demandent si c'est acceptable », tonnait un certain Richard Ferrand. La nouvelle politique façon Macron serait transparen­te, bienveilla­nte et innocente – ce qui signifiait qu'elle n'aurait plus grand-chose à voir avec le pouvoir, ses affres et ses vices. Sauf que pour y parvenir, ce n'est pas la politique qu'il faudrait changer mais la nature humaine.

L'histoire étant parfois très espiègle, le retour de bâton n'a pas traîné. Moins de deux semaines après le glorieux couronneme­nt du président-chevalier blanc (« Global leader. Our président », a tweeté Marlène Schiappa en english dans le texte), l'affaire Ferrand venait calmer les ardeurs inquisitor­iales. Pas de scandale d'état, peut-être, mais un art de la combine qui fleure la politique d'avant et même d'avant avant – très balzacien ce Richard Ferrand*. Tandis que la justice tentait, plusieurs jours durant, de regarder ailleurs, avec une prudence très éloignée de la célérité observée pour Fillon, le gouverneme­nt abandonnai­t prudemment le terme de « moralisati­on » pour celui, moins engageant, de « confiance ». Trop tard : la machine à broyer est lancée et, maintenant qu'on a réveillé ce que l'esprit sans-culotte a de plus inquiétant et de plus malveillan­t, on ne l'apaisera pas si aisément. On a persuadé les Français qu'ils voulaient et devaient tout savoir de leurs élus. Et maintenant que nous sommes tous des petits individus-dieux, nous avons drôlement soif. Au premier rang des nouveaux droits de l'homme dont nous sommes si fiers, figure désormais celui de regarder dans l'assiette de son voisin et dans la culotte de sa soeur, ainsi que dans le passé de toute personne publique. À La République en marche (REM), on croit tellement à la réhabilita­tion par la justice qu'on a décidé d'écarter des affaires toute personne ayant un casier judiciaire. Bien entendu, les dénonciati­ons ont commencé à pleuvoir : celui-ci a été accusé « d'optimisati­on fiscale », celui-là aurait fait faire de fausses attestatio­ns dans un conflit prudhommal. Grâce à internet, chacun peut être le juge, le flic et le procureur de ses frères.

Le plus triste, c'est que tout le pays ou presque semble communier dans une définition de la morale qui la situe exclusivem­ent au niveau du porte-monnaie. Peu importe que vous trahissiez vos amis et vos idées, que vous soyez lâche ou dépourvu de toute vision historique, nous exigeons avant tout que nos dirigeants soient propres sur eux financière­ment, ce qui ne veut pas seulement dire qu'ils doivent être irréprocha­bles dans la gestion des deniers publics, mais aussi qu'ils doivent toujours l'avoir été dans leurs affaires privées. J'ignore comment Churchill tenait ses comptes personnels, mais je suis convaincue qu'il n'aurait pas plus obtenu l'investitur­e LREM que Mazarin, dont Zemmour a rappelé que sa corruption ne l'avait pas empêché d'oeuvrer à la grandeur de la France. De sorte que nous nous exposons à n'avoir désormais que deux types d'élus : des perdreaux de l'année, sans consistanc­e, sans passé, sans bosses et sans balafres, capables d'ennuyer même un détecteur de mensonges. Et des menteurs assez habiles ou fortunés pour s'acheter un CV vierge. Si vous voulez avoir un avenir, débrouille­zvous pour ne pas avoir de passé. •

* Je l'avoue, que cela tombe sur un ministre connu pour ses sympathies « pro-palestinie­nnes », ce qui en bon français signifie faroucheme­nt antiisraél­ien, ne me déplaît pas. Justice immanente ?

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