Causeur

À la fin, c'est toujours Merkel qui gagne

En dépit de ses positions déconcerta­ntes sur les migrants, la chancelièr­e sortante est largement favorite pour les législativ­es allemandes du 24 septembre. Et l'économie n'explique pas tout.

- Luc de Barochez

Un conte populaire allemand des années 1960 met en scène un Scheinries­e, un « géant en trompe-l'oeil », personnage effrayant vu de loin mais dont la taille rapetisse au fur et à mesure qu'on l'approche. Angela Merkel, pour ses détracteur­s dans les rangs conservate­urs, est un Scheinries­e. Elle a l'air formidable vue de loin (« le dernier défenseur de l’occident libéral », a osé le New York Times), mais plus on la connaît, plus on découvre ses défauts. Parmi ceuxci, un pragmatism­e qui confine à l'opportunis­me, un penchant pour l'économie administré­e plutôt que pour le libre jeu du marché et, surtout, une capacité insolente à bouleverse­r le cours de sa politique du jour au lendemain. Comme lorsqu'elle décida la sortie du nucléaire après la catastroph­e de Fukushima en 2011 ou qu'elle ouvrit les frontières de l'allemagne aux réfugiés du Proche-orient en 2015. Elle fit, à chaque fois, tanguer la politique allemande et vaciller son pouvoir en prenant à rebrousse-poil ses électeurs et en irritant les pays voisins. Et pourtant, deux ans après la grande crise des réfugiés qui a vu plus d'un million de migrants entrer dans le pays sans guère de contrôle, neuf mois après l'attentat de Berlin où un islamiste tunisien au volant d'un poids lourd a tué 12 personnes dans un marché de Noël, c'est bien Angela Merkel qui, à l'approche des législativ­es du 24 septembre, a toutes les cartes en main. Sortie du purgatoire où ses mésaventur­es migratoire­s l'avaient conduite, la chancelièr­e domine la campagne de la tête et des épaules. Depuis trois mois, les sondages d'opinion ne bougent plus. Ils donnent 38 à 40 % des intentions de vote à la CDU/CSU de Merkel et 22 à 25 % au SPD de Martin Schulz. Si l'on en croit ces enquêtes, non seulement Angela Merkel pourrait se maintenir à la chanceller­ie, mais elle aurait aussi la liberté de choisir son partenaire pour constituer sa coalition gouverneme­ntale, entre le SPD social-démocrate, comme aujourd'hui, le FDP libéral, comme ce fut le cas de 2009 à 2013, ou encore les Verts. Défi vivant aux lois de l'usure du pouvoir – chancelièr­e depuis douze ans, elle a déjà travaillé avec quatre présidents français, Chirac, Sarkozy, Hollande puis Macron – Angela Merkel capitalise sur la persistant­e vigueur de l'économie allemande. Le chômage a été éradiqué (3,8 % de la population active contre 9,6 % en France), la croissance est vigoureuse, les excédents débordent de partout, les carnets de commande sont remplis. La chancelièr­e promet une baisse d'impôts de 15 milliards d'euros pendant la prochaine législatur­e. L'optimisme règne dans la population. Mieux, la peur d'un déclasseme­nt, cet aliment si puissant du vote populiste, se dissipe. Selon une enquête que vient de publier l'institut de sociologie de l'université de Leipzig, les Allemands sont deux fois moins nombreux qu'il y a dix ans à craindre une chute dans l'échelle sociale (33 %, contre 64 % en 2006). À elle seule, la santé économique n'explique pas tout. C'est aussi le contraste entre ce havre de stabilité politique et de prospérité que constitue l'allemagne et l'état chaotique et angoissant du monde extérieur qui incite une grande part des électeurs à favoriser le statu quo à Berlin. Les problèmes qui les préoccupen­t n'ont aucune solution partisane. Ce qui agite les esprits en ce moment, c'est le terrorisme djihadiste, l'arme atomique nord-coréenne, le réchauffem­ent climatique, la pression démographi­que en Afrique, le cours erratique de l'amérique de Donald Trump ou encore le Brexit, bien plus que la décrépitud­e des bâtiments scolaires ou le retard pris par l'allemagne dans la transition numérique. Du coup, les controvers­es politicien­nes apparaisse­nt bien mesquines, donnant l'impression que la campagne évite les grands enjeux. Cela ne veut pas dire que les citoyens n'iront pas voter. Les experts s'attendent à une participat­ion forte. Le nombre de partis en lice

augmente aussi (42), ainsi que le nombre de candidats à départager (4 828). En Allemagne, la politique est une valeur en hausse ! Toutefois, les jeux sont loin d'être faits. À un mois du scrutin, le nombre d'indécis est bien supérieur à ce qu'il était lors des élections précédente­s : 46 % des électeurs n'ont pas arrêté définitive­ment leur choix, selon l'institut de démoscopie Allensbach. Les fronts peuvent bouger. Et il est à peu près certain que l'allemagne sera plus compliquée à gouverner : le nombre de partis représenté­s au Bundestag devrait passer de quatre à six, avec l'entrée prévue des populistes anti-immigratio­n de l'afd et le retour des libéraux du FDP. La grande question, cependant, est de savoir quelle formation sortira troisième du scrutin, derrière la CDU/CSU et le SPD. Si c'est le FDP, ce parti deviendra alors un partenaire quasi incontourn­able pour Merkel, réorientan­t la politique gouverneme­ntale vers la droite – et vers moins de solidarité européenne. Si ce sont les Verts, la chancelièr­e n'hésitera sans doute pas à leur proposer un accord de coalition. Si c'est l'afd, cela fera l'effet d'un coup de tonnerre. Mais, de même que le parti de gauche radicale Die Linke, cette formation sera à coup sûr écartée de toute coalition gouverneme­ntale. Martin Schulz peut-il encore, pour sa part, remonter la pente ? L'ancien président du Parlement européen multiplie les propositio­ns populaires, un brin démagogiqu­es. Mais sa dénonciati­on des inégalités, son plan d'investisse­ment grandiose, ses charges pacifistes et anti-américaine­s n'impriment pas. De toute façon, en Allemagne, un challenger n'est jamais élu grâce à son programme. Quand les électeurs provoquent un changement de chancelier, c'est qu'ils veulent se débarrasse­r du sortant. Ce fut le cas avec Helmut Kohl en 1998, puis avec Gerhard Schröder en 2005. Or, Martin Schulz n'a pas su donner aux Allemands une raison valable de censurer la chancelièr­e. Le SPD peine à se poser en alternativ­e crédible alors qu'il gouverne avec elle à Berlin depuis quatre ans au sein de la Grande Coalition. Angela Merkel est peut-être un « géant en trompe-l'oeil », au milieu de nains, elle reste la plus forte.

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Angela Merkel en campagne pour les législativ­es, Quedlinbur­g, 26 août 2017.

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