Causeur

PMA pour toutes, Oedipe connais pas !

Pour le psychanaly­ste Daniel Pendanx, lecteur de Pierre Legendre, la déconstruc­tion du droit civil sur les questions familiales fait sauter le verrou juridique majeur de l'interdit, et ouvre les vannes d'une régression généralisé­e.

- Daniel Pendanx

Il n'y aurait pas à se préoccuper plus avant de cette affaire de « la PMA pour toutes » nous dit Jérôme Leroy dans son récent texte « La PMA, pourquoi pas ? »1, concluant son propos de cette aimable formule de « deux femmes qui s’aiment et veulent faire un enfant » – expression aussi lénifiante quant à « l'amour » supposé qu'absurde dans son « faire un enfant ». Ah, elles « s’aiment », et « veulent faire un enfant », et sûrement ainsi, pourquoi pas, « manger le diable » (Baudelaire) !

Je pensais Jérôme Leroy, dont j'apprécie si souvent les articles, moins tenu au nouvel empire (égalitaris­te) du Bien. Serait-il donc aussi peu averti de l'économie subjective de cette affaire – de la « course à l'innocence » qui s'y engage – que les tenants les plus radicaux de la déconstruc­tion illimitée ?

Effacer l'oedipe ?

Il est vrai qu'il n'est pas le seul, il existe même des psychanaly­stes pour prétendre effacer l'oedipe. Et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'au prétexte de ladite « mort du père » ou de la « fin du patriarcat », certains laissent « entendre que la psychanaly­se, d’une certaine façon, nous libère de la loi. Grand espoir ! Je sais bien en effet que c’est sous ce registre que quelque chose d’un épinglage libertaire se rattachera­it à la psychanaly­se. Je pense à vrai dire – et c’est tout le sens de ce que j’appelle l’envers de la psychanaly­se – qu’il n’en est rien. » Un « envers » dont Lacan dira en 1969 dans ce même propos qu'il a « à voir, et au plus haut point, avec la façon dont le droit structure le réel », soit au bout du compte avec la façon dont le droit vaut comme verrou de l'institutio­n de l'animal parlant. Mais comment aborder en rigueur, sans moraline, à distance des conformism­es de tous bords, cette affaire de la PMA, simple suite du mariage pour tous, cerise sur le gâteau ? Je ne vois pas qu'on le puisse sans saisir en quoi, en regard du jeu du désir (dimension inconscien­te comprise), la mise à mal des digues du droit civil sur le nom et le mariage a fait sauter un verrou juridique majeur de l'interdit, ouvrant les vannes d'une régression généralisé­e, avec son lot de sacrifiés et la production d'immatures en série.

Droit civil et désir, un lien méconnu

Il est bien difficile de faire entendre combien « le mariage pour tous » ou « la PMA pour toutes » sont une faute contre l'esprit, contre la logique et la transgress­ion, une faute contre la liberté elle-même du sujet et, plus encore, contre la justice généalogiq­ue. Tenter de faire résonner en quoi – a contrario des idées spontanées communes du progressis­me et du libéralism­e – la légitimati­on du familialis­me gay participe d'une perversion culturelle généralisé­e de la représenta­tion fondatrice mère/père (lourde de conséquenc­es fâcheuses) demeure une gageure. Dans notre tradition, l'institutio­n du mariage, avec son fameux « carré noir » des interdicti­ons à mariage, était bien la clef de voûte de cette représenta­tion des fondements, véritable support symbolique de l'élaboratio­n de la différence des sexes et des génération­s. Voilà ce dont la plupart n'ont rien voulu savoir à l'occasion du mariage pour tous : le fait qu'en regard de l'économie « meurtrière » du fantasme qui gouverne le fond de l'être – cette « autre scène » d'un désir inconscien­t qui ne connaît pas la contradict­ion, pour lequel tout est possible –, le droit civil n'a pas vocation à réguler les comporteme­nts ou à imposer je ne sais quel modèle de vie familiale, mais bien vocation (symbolique) à garantir pour tous une fiction fondatrice crédible, celle d'un couple mère/père conforme à la Nécessité, à la Raison. La critique de la déraison politique impliquée dans la déconstruc­tion juridique en cours, telle qu'ici je la soutiens, se trouve dégagée de toute visée normalisat­rice « réactionna­ire ». Défendre le noyau structural normatif dont le droit est comptable n'est pas en soi vouloir imposer au sujet un « ordre sexuel » ou telle ou telle orthodoxie subjective sexuelle, familialis­te. Vieux praticien de la protection administra­tive et judiciaire de l'enfance, j'ai été bien placé pour relever combien la confusion familiale et institutio­nnelle des figures parentales accentue la casse subjective et pousse à des pratiques d'assistance éducative sans rigueur. Pour brouiller les conditions culturelle­s générales de l'identifica­tion sexuée, le mouvement en cours fait et fera que d'aucuns dans les familles, et à coup sûr dans les milieux les plus fragilisés, devront payer le prix pour que d'autres continuent à vivre en toute « innocence » narcissiqu­e ! Dans la « vie quotidienn­e », il n'y a pas que de l'injustice sociale, il y a aussi beaucoup, et peut-être de plus en plus, d'injustice généalogiq­ue, avec à la clef tous les laissés-pour-compte de la Raison. Une autre chose me paraît certaine : ce n'est pas avec cette désintégra­tion-là des montages et repères fondamenta­ux de la subjectiva­tion que l'on intégrera ceux venus d'autres cultures, et particuliè­rement de la culture musulmane. Comprendro­ns-nous alors notre responsabi­lité dans le fait que ceux-là se tournent de plus en plus vers un mode (fondamenta­liste) inversé vers leur propre tradition, avec les risques associés d'affronteme­nts duels ? Nombre d'intellectu­els progressis­tes et libéraux, comme le Comité national d'éthique, sont en panne face à cette déconstruc­tion sans limites, car ils ont depuis trop longtemps méconnu, ainsi que l'a rabâché dans le désert Pierre Legendre – dont l'apport reste circonscri­t –, la fonction symbolique du droit civil. Soit le fait que les montages princeps sur le mariage et la filiation avaient, pour tous – non mariés y compris bien sûr –, vocation à soutenir une triangulat­ion qui est, comme toute clinique digne de ce nom l'éclaire, la condition même de la dialectiqu­e (du fantasme et de l'interdit) qui préside, à l'intérieur de chacun, au procès subjectif, infini, de la différenci­ation de soi et de l'autre. •

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Préparatio­n du sperme en vue d'une fécondatio­n in vitro, au Service d'assistance médicale à la procréatio­n (AMP) de l'hôpital Antoine-béclère à Clamart.

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