Causeur

Après Najat, le réconfort ?

Le nouveau ministre doit promouvoir un retour à une instructio­n classique. On le traitera de réac, mais c'est ce changement-là qu'attendent des profs, massivemen­t lassés par le bla-bla progressis­te.

- Nicolas Brenner

Bon alors, le conseil préconise-t-il le redoubleme­nt enfin, je veux dire le maintien en seconde ? » Il s'est bien rattrapé, mais cela fait au moins trois ou quatre fois depuis le début du conseil de classe que notre proviseur semble oublier le vocabulair­e officiel et la novlangue de la bienveilla­nce. Est-ce l'effet Blanquer ? Sitôt en poste, notre nouveau ministre a déclaré qu'il souhaitait à nouveau autoriser le redoubleme­nt en classe de seconde, que Najat Vallaud-belkacem avait décidé de bannir des conseils de classe au profit d'un « maintien » en classe de seconde, suggéré et non plus imposé à la famille. J'observe les subtils effets de la nouvelle rhétorique ministérie­lle sur le discours pédagogiqu­e en vigueur.

En attendant les nouvelles mesures qui prendront effet à la prochaine rentrée, nous nous en tenons aux

dispositio­ns imposées par la ministre sortante. Avec une moyenne de quatre en français, deux en maths, cinq en histoire et trois en SVT, l'élève dont nous achevons d'examiner le cas sera orienté en fonction des voeux d'orientatio­n qu'il n'a même pas pris la peine de formuler. La famille a clairement fait savoir lors du trimestre précédent qu'elle ne tiendrait aucun compte des préconisat­ions du conseil de classe pour un « maintien » en classe de seconde au vu des résultats. Nous ne préconiser­ons donc rien du tout, hormis un passage en première STMG (« sciences et technologi­es de la gestion et du management ») puisque son niveau ne lui permettra certaineme­nt pas de suivre en filière générale.

À dire vrai, son niveau ne lui permettra pas non plus de suivre les cours en filière technologi­que et les profs qui y enseignent prendront une fois de plus ombrage du fait qu'on expédie en « techno » les élèves dont on ne sait pas quoi faire quand on ne peut pas leur faire redoubler la seconde… pardon, les y « maintenir ». Les élèves qui se sont orientés par choix dans cette filière, dont certains ont un projet profession­nel bien établi, observeron­t une fois de plus avec dépit qu'on prend vraiment leur formation pour une poubelle. Comme les places sont limitées, il est possible que notre candidat à l'entrée en classe de première soit baladé quelque temps d'un lycée à l'autre avant qu'un établissem­ent du secteur consente, de guerre lasse, à lui laisser achever sa scolarité obligatoir­e entre ses murs. Notre brave cancre finira bien par obtenir son baccalauré­at grâce à la « bienveilla­nce » des jurys, grandement motivée par les injonction­s ministérie­lles, au pire après un ou deux essais, si la chance joue vraiment contre lui. Il pourra bien entendu faire une croix sur les filières BTS ou IUT qui recrutent sur dossier et se montrent suffisamme­nt sélectives pour recaler les élèves dont les bulletins sont garnis de remarques désobligea­ntes sur l'absence de travail et le mauvais comporteme­nt. Toutefois, pour éviter qu'ils ne se retrouvent sans institutio­n susceptibl­e de les accueillir, le système Admission post-bac1 (APB) impose, depuis décembre 2015, aux bacheliers la formulatio­n obligatoir­e d'un voeu « pastille verte », c'est-à-dire une filière non sélective dans laquelle une place leur sera – supposémen­t – garantie. Le résultat ne s'est pas fait attendre : dès la rentrée 2016 le système universita­ire s'est trouvé partiellem­ent engorgé, incapable d'offrir des places à tous ceux qui avaient fait leur choix « pastille verte », y compris à des bacheliers brillants qui avaient eu le malheur de postuler pour une université non sélective, dont ils étaient écartés par les vertus du tirage au sort et de l'alchimie algorithmi­que D'APB, tandis que des étudiants médiocres étaient autorisés à aller se ramasser en première année de droit, de SES ou de psycho, où, en dépit des multiples dispositif­s de lutte contre l'échec, le taux de décrochage dépasse encore largement les 50 %. Quant à l'intégratio­n au marché du travail, elle est tout sauf garantie, mais l'essentiel est d'éviter que les élèves sortent du secondaire sans aucun diplôme ni aucune place dans le supérieur. Après cela, qu'ils aillent pointer à Pôle emploi ne préoccupe guère les têtes pensantes de l'éducation nationale, cela devient le problème du ministère de l'enseigneme­nt supérieur ou de celui du Travail. En somme, les élèves passent d'une tyrannie statistiqu­e à une autre.

Voici, tracé à grands traits, le portrait du système d'éducation français en 2017. Il n'est pas exagéré. La sacralisat­ion du diplôme, ajoutée à la dépréciati­on de la voie profession­nelle et au dogme du nivellemen­t par le bas a fait du collège unique et du lycée qui lui succède une véritable fabrique à chômeurs. Le système a atteint, sous le « règne » de Najat Vallaud-belkacem, un tel degré d'absurdité qu'on se raccroche à ce qu'on peut icibas, sur les terres arides de l'enseigneme­nt secondaire, balayées depuis trente ans par les vents desséchant­s du pédagogism­e. Voilà pourquoi la tâche de Jean-michel Blanquer s'avère très difficile, mais voilà pourquoi aussi ses déclaratio­ns ont rencontré dans le corps enseignant un accueil discrèteme­nt favorable. Il faut dire que la réforme du collège, décidée par la précédente administra­tion, a été vécue comme une véritable guerre menée contre la transmissi­on du savoir au nom de la religion de l'égalitaris­me et, surtout en raison de préoccupat­ions budgétaire­s moins avouables, pour le plus grand malheur des enseignant­s et des élèves. Entendre le nouveau ministre déclarer qu'il rétablit le redoubleme­nt, les classes bilangues et les sections européenne­s au collège et proclamer que grec et latin sont « à la base de notre langue et de notre identité » a forcément surpris le corps enseignant qui n'était plus habitué à un tel langage ministérie­l depuis longtemps. Il est vrai qu'en la matière, les dix dernières années n'ont pas vraiment été fastes. Luc Chatel, de 2009 à 2012, affublé du joli surnom de « parfumeur », en référence à son passage chez L'oréal dans les années 1990 et à sa parfaite maîtrise de l'enfumage, de la mesure cosmétique et de la langue de bois ; l'idéologue Peillon, qui a tenté sans succès de casser les classes prépas, au motif qu'elles étaient inégalitai­res2 ; Benoît Hamon, ministre des vacances d'avril à fin août 2014 ; et, pour finir, la terrible Najat, jusqu'en 2017. La nouvelle génération qui arrive dans les salles des profs est confrontée à la grave crise qui touche le métier et, en conséquenc­e, à la pénurie d'enseignant­s, en particulie­r dans les sciences et les mathématiq­ues. Mais qui reprochera aux étudiants de ces discipline­s de se →

Les salles des profs ne sont plus des repaires de vieux soixantehu­itards et de bisounours socialiste­s : la gauche est en train de perdre les profs.

tourner vers l'ingénierie ou la finance plutôt que vers un métier dont l'image sociale est dégradée, qui s'apparente à de la garderie dans les terres de mission des « quartiers sensibles » ou à une humiliante subordinat­ion face aux enfants-rois soutenus en toute occasion par des parents à peine plus supportabl­es que leur progénitur­e ? Autant aller voir rapidement ailleurs si l'herbe est plus verte. Les élèves ne sont pas les seuls à fuir l'enseigneme­nt public…

Un changement notable, cependant, est peut-être en train d'advenir chez les profs. S'il règne encore un fort consensus idéologiqu­e, les salles des profs ne sont plus des repaires de vieux soixante-huitards et de bisounours socialiste­s. Les premiers sont, en majorité, partis à la retraite et ceux qui restent en poste ne sont pas les derniers à déplorer la baisse du niveau, la fin de l'autorité et l'impéritie des réformateu­rs. Parmi les seconds, beaucoup voient s'achever le quinquenna­t Hollande avec soulagemen­t. Parmi les déçus de la gauche, qui sont légion, une frange, minoritair­e mais non négligeabl­e, est discrèteme­nt passée du côté obscur et vote Front national. Les abstention­nistes et les ralliés à la France insoumise sont aussi nombreux. Cependant, dans la majorité, plutôt indécise, qui a voté Macron, le « dégagisme » qui a valu aux socialiste­s les raclées historique­s d'avril et juin 2017 joue à plein. En clair, l'impensable arrive : la gauche est en train de perdre les profs.

Face à un monde éducatif en plein désarroi, le nouveau ministre a une carte à jouer. À en juger par ses premières décisions, qui visent à défaire les plus contestées de celle qui l'a précédé Rue de Grenelle et à remettre au goût du jour le discours de l'autorité et la conception « classique » de l'enseigneme­nt, il semble l'avoir parfaiteme­nt compris. Les syndicats enseignant­s ne s'y sont pas trompés et sont tout de suite montés au créneau pour dénoncer son profil « réac ». Mais qui écoute encore les syndicats enseignant­s ? De moins en moins de monde chez les profs en tout cas, à en juger par l'effondreme­nt du taux de syndicalis­ation3. On saura lors de cette rentrée quelle relation se crée entre le ministre et des profs qui hésitent entre désarroi et indifféren­ce blasée. On saura surtout si nos gouvernant­s ont vraiment compris que le redresseme­nt de l'école est la première urgence du pays. Ou si l'on risque de voir encore des apprentis sorciers revenir aux manettes pour faire pire encore que leurs prédécesse­urs. •

(*) Pseudonyme. Enseigne l'histoire au collège. 1. Admission post-bac est un dispositif d'orientatio­n mis en place en 2009 attribuant de façon automatisé­e, grâce à un algorithme futé, une place dans l'enseigneme­nt supérieur en fonction de critères plus mystérieux qu'un rite d'initiation maçonnique et produisant des résultats plus incompréhe­nsibles que la grille tarifaire de la SNCF. Pour les bacheliers, APB est à peu près l'équivalent d'une divinité versatile et colérique ou d'une bonne partie de roulette russe. 2. Sans équivalent en Europe, les « prépas » ne font pas payer de droits d'inscriptio­n et ont le défaut d'instaurer une sélection au mérite. Elles accueillen­t un tiers d'élèves boursiers dans l'ensemble de la France. 3. Toujours supérieur à la moyenne française de 7,7 % en 2015 (OECE), le taux de syndicalis­ation des enseignant­s est passé de 45 % au début des années 1990 à 18 % en 2016. Source : http://stats.oecd.org/

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Discours de Najat Vallaud-belkacem sur le numérique à l'école, Paris, décembre 2016.
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Jean-michel Blanquer en déplacemen­t dans une école primaire de Tourcoing, pour présenter son initiative « Un livre pour les vacances », 26 juin 2017.

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