Causeur

Louis Pauwels, l'antimatéri­aliste

Du bouddhisme au Fig Mag en passant par le Matin des magiciens : vingt ans après sa mort, retour sur le parcours surprenant d'un aventurier de l'esprit.

- Jean-pierre Montal

La vie de Louis Pauwels commence comme du Dickens, se poursuit chez Tolkien et finit dans un confort trouble à la Sagan. On peut y lire l'aventure d'un Rastignac surdoué ou celle d'un pèlerin en quête de sagesse. Né en 1920, le futur patron du Figaro Magazine est le fils naturel d'un grand bourgeois belge (qu'il refusera de rencontrer). Il est élevé dans un milieu ouvrier par sa mère et son beau-père, Gustave Bouju, apiéceur pour un tailleur des beaux quartiers. Le jeune Pauwels voue une admiration sans bornes à ce syndicalis­te, nourri aux oeuvres de Hugo et Jaurès. Avec lui, il comprend l'importance de l'instructio­n, du travail, mais touche aussi du doigt la frontière séparant l'inné de l'acquis. « Entre cet homme qui m’était tout et moi, j’éprouvais l’existence d’une herse. Il y a une niche génétique : ce sont les parents de chair. Je n’étais pas dans la niche génétique. » Sans faire de psychologi­e de vide-grenier, cette distance, découverte si tôt, jouera un rôle déterminan­t dans l'oeuvre de Pauwels où les passions les plus débridées seront toujours décrites avec une glaçante lucidité. Après une adolescenc­e envoûtée par les grands textes de l'hindouisme, il devient instituteu­r et signe son premier roman, Saint quelqu’un (1946), l'histoire atroce d'un enfant mort, d'une mère suicidée et d'un père qui baigne en pleine béatitude bouddhique. Comparée à ces pages insoutenab­les, la Chanson douce de Leïla Slimani fait effectivem­ent figure de berceuse. La critique s'emballe, le New York Times annonce la naissance du futur grand auteur français. Pauwels, lui, ne rêve ni de Paris ni d'amérique ; plutôt d'avon, Seine-et-marne, où il rejoint le gourou Georges Gurdjieff. Il en reviendra quinze mois plus tard, défait par l'ascèse, pesant moins de 50 kilos mais avec un projet de livre, Monsieur Gurdjieff (1954), mélange d'enquête et de réflexions personnell­es. Une réussite totale, inclassabl­e. La même année, il publie un roman boursouflé, L’amour monstre (oui, celui cité dans Initials BB de Gainsbourg), manque le Goncourt de peu, dirige Marie-claire. Cette fois, la voie vers la respectabi­lité et le succès semble tracée. Mais Pauwels emprunte une déviation invisible, poussé vers l'inconnu par une nouvelle rencontre.

Un nouveau matin plutôt qu'un grand soir

Ancien déporté du camp de Mauthausen, espion, chimiste et alchimiste parlant plus de 14 langues, Jacques Bergier résume à lui seul l'horreur et les mystères du xxe siècle. L'associatio­n entre les deux hommes repose sur une amitié sincère (Blumroch l’admirable, merveille de 1976 signée Pauwels en témoigne) et un accord tacite : Bergier connaît les histoires, Pauwels sait les écrire. En 1960, ils publient Le Matin des magiciens, pavé qui brasse ésotérisme, sciences et mythe de l'atlantide. Best-seller mondial. Pauwels lance, un an plus tard, la revue Planète. Le succès est foudroyant. Dès le deuxième numéro, le tirage atteint 100 000 exemplaire­s. Dans une France encore sous le choc de la guerre, prise entre l'absurde de gauche (l'existentia­lisme) et le cynisme de droite (les hussards), Pauwels et son équipe (le spécialist­e des ovnis Aimé Michel, Henri Laborit, François de Closets, Roland Topor…) ouvrent une ligne de fuite antimatéri­aliste. Plusieurs éditions étrangères voient le jour et Planète organise même des séjours culturels en Grèce ou en Sicile avec le Club Méditerran­ée. Après dix ans de triomphe éditorial, Louis Pauwels quitte la revue. Lassitude, mais aussi clairvoyan­ce. Il ne veut pas du compagnonn­age

imposé, au début des années 1970, avec les hippies et les gauchistes : « se coiffer du bonnet de Rousseau et se coller la barbe de Marx, c’est se faire une tête, pas avoir un visage. Ne pas confondre le Mystère et le Carnaval. » On ironise sur son embourgeoi­sement, son couple avec la très raffinée Élina Labourdett­e et son optimisme technologi­que. Il s'en moque. Il refait surface, avec un plan.

Paganisme et « sida mental »

Créé en 1978 par Pauwels, Le Figaro Magazine va vivre plusieurs années au rythme des évolutions de son fondateur. Il se fait tout d'abord l'écho des thèses de la Nouvelle Droite, mouvance européenne et régionalis­te (donc fort peu nationalis­te), antilibéra­le, païenne et opposée à l'égalitaris­me hérité de la chrétienté. Avec ces jeunes hommes (Alain de Benoist, Michel Marmin, Jean-claude Valla…) Pauwels comprend que la droite française se remet soudain à penser, que la lignée reliant Joseph de Maistre, le cercle Proudhon à certains anticonfor­mistes des années 1930 pourrait bien trouver une descendanc­e. Comment devient-on ce que l’on est ?, superbe confession écrite dans une langue proche d'un Emmanuel Berl païen, est le manifeste du Pauwels de cette époque. Ce livre lave les idées à l'eau glacée, les réveille et les raffermit, que l'on soit d'accord ou pas. L'auteur résume sa vision idéologiqu­e : « La société bourgeoise est bien l’autre face de la société marxiste. Elle partage avec celle-ci la certitude que les structures économique­s déterminen­t toutes les valeurs. » Quelle tête devait faire le lecteur du Fig’ Mag’ face à ces lignes ? Il n'aura pas à s'inquiéter très longtemps car Pauwels tourne le dos à la Nouvelle Droite dès 1980, se convertit à l'économie de marché puis au catholicis­me (après une chute près d'une piscine d'acapulco !). Adieu paganisme et antilibéra­lisme, bonjour résidences secondaire­s et pulls sur les épaules… En 1986, dans un édito concernant les manifestat­ions d'étudiants contre la Loi Devaquet, il parle « d’une jeunesse atteinte d’un sida mental ». Formule écoeurante. Une violente polémique éclate. Elle constitue, encore aujourd'hui, un marqueur idéologiqu­e révélateur : la gauche roublarde saute sur l'occasion, pour se faire le porte-parole d'une jeunesse qu'elle ne représente plus ; la droite couarde déserte le terrain social pour ne plus parler que d'entreprise et de marché. Chacun dans son emploi, comme au théâtre. La pièce se jouera plus de trente ans. Le « sida mental » fera surtout une victime : Pauwels lui-même, réduit désormais à cette seule expression. Peut-on résumer la vie d'un homme en deux mots ? Sans doute pas et encore moins la sienne. Vingt ans après sa mort, il serait temps de lui accorder un oeil neuf. •

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