Causeur

Achtung, la droite revient !

Outre l'opposition résolue des populistes de l'afd, entrés en force au Bundestag, Merkel devra composer avec un Parti libéral devenu très euroscepti­que. Ce n'est pas seulement la chancelièr­e qui sort affaiblie du scrutin, c'est l'europe idyllique du coupl

- Luc Rosenzweig

Recul de la CDU/CSU, débâcle du SPD, entrée en force de l'afd (droite populiste et anti-immigratio­n) au Bundestag, et renaissanc­e des libéraux du FDP en version nationalis­te et euroscepti­que : telles sont les principale­s conséquenc­es du scrutin législatif du 24 septembre en Allemagne. C'est une secousse, mettons, de force 5,5 sur l'échelle de Richter qui enregistre les effets de la tectonique politique chez notre voisin d'outre-rhin : sans provoquer une crise de régime dramatique, elle ébranle sérieuseme­nt le système en place depuis l'unificatio­n du pays en 1991. La merkeloman­ia qui sévissait en Europe et même au-delà de notre continent parmi les élites politiques et médiatique­s avait fini par imposer l'idée que la chancelièr­e allait, une fois encore, recevoir de son peuple un mandat sans équivoque, un dernier paquet cadeau électoral entouré d'une faveur faite de reconnaiss­ance et d'affection pour « Mutti », la mère d'une nation prospère et apaisée. Les observateu­rs un peu plus au fait des réalités pouvaient cependant constater que l'action d'angela Merkel au cours de la dernière législatur­e n'avait pas fait que des heureux : ses palinodies au moment de la crise de l'euro, en 2008-2009 – d'abord on essaie de pousser les Grecs dehors, puis on consent à les garder tout en les étranglant avec constance –, a créé un ressentime­nt chez les partisans d'un ordo-libéralism­e sans concession, nombreux et puissants à droite et dans les cercles dirigeants de l'économie. Le FDP, devenu gardien sourcilleu­x des règles budgétaire­s de L'UE et de la zone euro, et partisan de l'expulsion des contrevena­nts, s'est refait une santé et réintègre le Parlement. L'attitude tout aussi versatile de Merkel dans la crise migratoire de 2015 – frontières grandes ouvertes aux réfugiés, puis arrêt brusque de la Willkommen­kultur (« bienvenue aux migrants » !) devant la montée de la protestati­on populaire incarnée par le mouvement Pegida – a laissé des traces et s'est traduite par la montée en flèche de l'afd lors des dernières élections régionales, particuliè­rement à l'est du pays. La question sociale, celle des travailleu­rs pauvres oubliés de la nouvelle donne instaurée par les réformes Schröder de la dernière décennie, n'a pas réussi à s'imposer dans le débat public à l'occasion de ces élections : d'après les sondages, 78 % des Allemands se considèren­t « satisfaits de leur situation économique personnell­e » ! Dur, dur pour une gauche socialedém­ocrate en porte-à-faux, partie prenante de la coalition au pouvoir, mais qui a fait campagne avec Martin Schulz pour plus de justice sociale, et se trouve soumise à la surenchère gauchiste de Die Linke et des Verts. La crise du SPD, qui a choisi le retour à l'opposition après sa défaite historique du 24 septembre, ne fait que commencer : l'affronteme­nt entre les partisans d'une « corbynisat­ion » du parti, qui rêvent du virage gauchiste du Labour britanniqu­e, et ceux de la poursuite de la ligne modérée et réaliste de l'actuelle direction est programmé pour les prochains mois, avec le spectre d'une marginalis­ation à la grecque, ou à la française, du plus ancien parti social-démocrate d'europe, voire du monde ! En attendant, il faut bien que la première puissance économique de L'UE se dote d'un gouverneme­nt, et le verdict des urnes ne permet qu'une seule possibilit­é : en route pour la Jamaïque ! C'est ainsi que l'on nomme, outre-rhin, la coalition rassemblan­t la CDU/CSU (les noirs), le FDP (les jaunes) et les écologiste­s (les verts). Pile la couleur du drapeau de la patrie de Bob Marley et d'usain Bolt.

Nulle autre configurat­ion n'est possible, car le SPD se retire, et Die Linke comme l'afd sont encore jugés incompatib­les avec une coalition à l'échelle fédérale, car sentant encore trop le soufre, stalinien pour les premiers, fascistoïd­e pour les seconds, même si leur reductio ad Hitlerum ne convient pas pour définir leur vraie nature politique. La coalition jamaïcaine n'est pour l'instant aux manettes que dans le land de Sarre, l'un des plus petits et moins peuplés de la RFA, pour contrer l'influence locale, à gauche, des héritiers d'oskar Lafontaine, premier frondeur anti-schröder et cofondateu­r de Die Linke avec les ex-communiste­s est-allemands. Son expérience, plutôt positive, ne préjuge en rien du succès d'une telle alliance à Berlin. Les négociatio­ns entre les trois partis concernés seront longues et conflictue­lles, car entre les Verts et le FDP existe un fossé idéologiqu­e aussi large que la vallée du Rhin dans son cours inférieur. Le FDP nouveau, qui se veut le parti de la grande entreprise, a très mal digéré le virage antinucléa­ire de Merkel. Il est partisan d'un deal avec Poutine, lui abandonnan­t la Crimée en échange de garanties d'approvisio­nnement énergétiqu­e pour l'allemagne. Surtout, son jeune leader, Christian Lindner rejette fermement les propositio­ns de Macron d'une organisati­on politique de la zone euro et de mise en place d'un budget d'investisse­ment européen sous le contrôle d'un « ministre des Finances » responsabl­e devant les instances européenne­s. Les Verts sont aux antipodes de ces positions et devront manger une bonne partie de leur chapeau de paille s'ils veulent s'asseoir à la table gouverneme­ntale pour pousser quelques-unes de leurs obsessions écolo-gaucho. Lindner peut en effet compter sur le soutien de la CSU, la branche bavaroise de la démocratie chrétienne qui met au débit d'angela Merkel le piètre résultat du parti en Bavière, où il descend, pour la première fois depuis 1945, en dessous de la barre des 50 %, ce qui augure mal du maintien de sa majorité absolue à Munich lors des élections régionales de l'an prochain. Avec tout cela, Angela est dans la seringue. Pour durer, elle doit tenir compte du message électoral qui lui a été adressé sans détour : on ne te hait point et on ne voit, pour l'instant, personne d'autre pour te remplacer, mais finis les zigzags, la triangulat­ion et autres lubies politiques postmodern­es. On veut de l'allemagne d'abord, de la solide défense de nos intérêts nationaux sans céder aux utopies des voisins (suivez mon regard vers l'élysée), Habermas et le postnation­al, ce n'est pas notre verre de bière. On commence à spéculer, à Berlin, sur un scénario qui verrait Merkel conduire cahin-caha une coalition jamaïcaine pendant deux ans, avant de se retirer et provoquer de nouvelles élections avec un nouveau leader de la CDU/CSU, une sorte de Wauquiez germanique capable de ramener vers le parti le million d'électeurs qui l'ont quitté pour l'afd. Dans l'olympe de notre Jupiter national, ce n'est vraiment pas ce que l'on souhaitait. Le franco-allemand attendra. •

 ??  ??
 ??  ?? Conférence de presse d'angela Merkel au siège de la CDU, après la victoire du parti aux législativ­es, Berlin, 25 septembre 2017.
Conférence de presse d'angela Merkel au siège de la CDU, après la victoire du parti aux législativ­es, Berlin, 25 septembre 2017.

Newspapers in French

Newspapers from France