Causeur

L'honneur perdu des libéraux français

Nos libéraux méprisent la nation et vénèrent la finance. On ne s'étonnera donc pas qu'ils se soient massivemen­t ralliés à Macron. Une tribune signée par les Arvernes, groupe de hauts fonctionna­ires, d'intellectu­els et d'entreprene­urs qui veulent contribue

- Les Arvennes

La France a un problème avec le libéralism­e. Il n'est pas né d'hier. Alexis de Tocquevill­e, à cet égard, a presque tout dit. L'entrée dans la modernité politique de la France, par la Révolution française, a durablemen­t placé le curseur de la démocratie du côté de l'égalité, au détriment des libertés. L'expérience américaine, elle, est inverse, qui place le curseur du côté de la liberté, au détriment de l'égalité. La « question libérale », comme l'on disait naguère la « question sociale », n'est pas un débat d'initiés. Elle est au coeur des maux de notre pays, dont l'ardent besoin de réformes est passé au crible de cette question. Libérale la réforme d'un marché du travail jusqu'ici pensé pour dispenser le « bon Français » de travailler et déléguer aux immigrés les travaux jugés indignes, dont pourtant tant de nos grands-parents se sont acquittés avec courage et sans se plaindre ? Libérale la volonté de remettre de l'ordre dans nos finances publiques à bout de souffle après trente années d'un mariage sordide entre keynésiani­sme, socialisme et financiari­sation de la société ? Libérale la volonté, au coeur de la constructi­on européenne, d'éradiquer le politique au profit de considérat­ions économique­s, dans un monde dont les Européens s'obstinent à ne pas saisir la dangerosit­é ? Libéral, le besoin exprimé par tant de Français de talent de sentir le poids de l'impôt, de la norme – et plus encore de la médiocrité devenue religion d'état sous l'influence des destructeu­rs de l'école républicai­ne – s'alléger de leurs épaules ? On pourrait continuer… Disons-le tout net : si l'épithète « libéral » n'est pas plus frappée d'infamie à nos yeux que « démocrate » ou « républicai­n », nous ne craignons pas d'affirmer, depuis que nous nous efforçons de travailler à la refondatio­n idéologiqu­e de la droite, que nous ne sommes pas libéraux. Nous ne sommes pas libéraux, car, comme en toute chose, il n'est pas de martingale. Bien sûr, le redresseme­nt de la France passe par une remise en ordre de nos dépenses publiques, une plus grande liberté laissée aux acteurs économique­s nationaux, la lutte contre les rentes et la baisse des prélèvemen­ts ; toutes mesures qui pourraient être qualifiées de « libérales ». Pourtant, réduire la France au tamis d'une doctrine, aussi séduisante soit-elle, serait précisémen­t passer à côté de sa complexité. Et la France, au-delà de ces mesures économique­s nécessaire­s, a surtout besoin de se retrouver elle-même comme nation, fière de ce qu'elle est, forte de l'adhésion de son peuple à tout ce qui en fait l'identité. Cette cohésion nationale retrouvée est la condition du redresseme­nt économique et de l'acceptatio­n des efforts indispensa­bles. Une →

La France a surtout besoin de se retrouver elle-même comme nation. Cette cohésion nationale retrouvée est la condition du redresseme­nt économique et de l'acceptatio­n des efforts indispensa­bles.

telle vision politique n'est pas incompatib­le avec les idées libérales qui constituen­t un des grands héritages de la pensée française du xixe siècle. Les libéraux traditionn­els (y compris Friedrich Hayek) ont toujours accepté l'idée que la défense de la liberté est la mieux assurée par un État fort dans ses fonctions régalienne­s, y compris la promotion d'une concurrenc­e saine, la protection d'un certain ordre social et la défense des frontières. Oui, la France a besoin aujourd'hui de libéralism­e pour lutter contre l'égalitaris­me stérile, la réglementa­tion dictée par les lobbies, l'addiction d'une bonne partie de la population à la dépense publique et la fuite des talents. Mais encore faut-il inscrire ce libéralism­e dans une vision politique réaliste.

Surtout, nous ne sommes pas libéraux, car sauf rares exceptions – dont Aurélien Véron, président du PLD – les soi-disant libéraux français se sont sans nuances ralliés au macronisme, disqualifi­ant encore un peu plus leur cause. L'on vit ainsi l'un des jeunes gourous du libéralism­e déclarer en mars dernier qu'emmanuel Macron était « le prophète du libéralism­e (sic) ». Un autre, indéfectib­le soutien du président (quel qu'il soit en réalité), estimait de son côté qu'emmanuel Macron avait « compris mieux que tout le monde la puissance de rassemblem­ent d'une politique fondée sur la liberté (resic) ». Le libéralism­e à la française a fait le choix délétère de se confondre avec le macronisme. Disons-le tout net, cette convergenc­e est le signe d'une double imposture.

Imposture, d'abord, du côté d'emmanuel Macron, enfant chéri des grandes puissances d'argent et de leurs médias, issu de la technocrat­ie d'état la plus pure (l'inspection des finances et ses réseaux de connivence si peu « libéraux ») et porteur d'une vision néo-colbertist­e si classique lorsqu'il s'agit de nationalis­er les chantiers de Saint-nazaire à la barbe des « étrangers » italiens (dixit B. Le Maire). Le « libéralism­e » d'emmanuel Macron se résume pour le moment à des ajustement­s à la marge du droit du travail. Qui peut croire qu'une équipe gouverneme­ntale menée par l'élite de la technocrat­ie d'état – technocrat­ie dont certains d'entre nous, à l'issue d'études difficiles, s'honorent de faire partie – sera en mesure de remettre en cause la place de la dépense publique ? L'éviction des cabinets ministérie­ls de tous les économiste­s néolibérau­x non issus du sérail est un signe, parmi d'autres, qui ne trompe pas. En fait de doctrine, Emmanuel Macron n'a qu'une seule idée en tête : lui-même.

Imposture, aussi, du côté de nos idéologues libéraux. Leur empresseme­nt à rejoindre le macronisme naissant était déjà suspect durant la campagne électorale, alors même que Fillon affichait un programme résolument plus moderne. Leur soutien sans nuances au président élu alors même que le manque de portée véritable de ses réformes éclate au grand jour en devient gênant. Mais qui sont nos libéraux ? Si Alain Madelin, par ses outrances, son passé, son incapacité à assumer le combat électoral en 2002 n'avait rien d'un homme d'état de premier plan, il faut bien lui reconnaîtr­e, en fait d'idées, une réelle colonne vertébrale. Nos libéraux nouvelle mode, eux, vivent à Londres, pour échapper au fisc français, au crochet des subvention­s des grandes puissances d'argent (consultant­s, think tank) et trouvent intelligen­t, entre autres âneries, de plaider, après le Brexit, pour une déclaratio­n d'indépendan­ce du grand Londres cosmopolit­e et aimable par rapport au reste de ce Royaume-uni si xénophobe et peu plaisant.

Comment les libéraux sont-ils tombés si bas et ontils discrédité une doctrine dont, répétons-le, nous avons besoin pour soigner ce socialisme congénital qui nous fait tant de mal ? Nous voudrions ici formuler une hypothèse : trop de libéraux prétendent aimer la liberté, or c'est l'argent qu'ils aiment ! C'est là, nous semble-t-il, l'une des clés essentiell­es de compréhens­ion de l'échec partiel du thatchéris­me : la financiari­sation excessive a été une erreur politique et économique que nous n'en finissons pas de payer. Margaret Thatcher, issue d'un milieu modeste, se vantait d'avoir compris l'économie dans une boutique, et ne déguisait pas sa méfiance pour l'oligarchie britanniqu­e. Pourtant, elle a été dupée par la City et son mur de l'argent. Elle n'a pas su admettre que ce que le libéralism­e le plus absolu recherche, quand il marche main dans la main avec le capitalism­e le plus intégral, c'est l'absence de concurrenc­e et, comme le socialisme, le monopole. Le libéralism­e le plus aigu, quand il se fait l'auxiliaire zélé des puissants, hait tout autant la liberté laissée à son concurrent que ne le fait le socialisme. Force est aujourd'hui d'admettre, pour reprendre une expression qui leur est chère, que nos libéraux français sont bien « capturés » par les grands intérêts économique­s et politiques qui les font vivre et dont ils sont les idiots utiles.

La politique en France meurt de tant d'imposture. Il faut la dénoncer et réhabilite­r, loin de ce libéralism­e de connivence et d'argent, une pensée libérale authentiqu­e, qui doit être au centre de la pensée de droite que nous souhaitons contribuer à reconstrui­re. •

Qui peut croire qu'une équipe gouverneme­ntale menée par l'élite de la technocrat­ie d'état sera en mesure de remettre en cause la place de la dépense publique ?

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