Causeur

À la fin, c'est toujours le CIO qui gagne

Quoi qu'en disent Macron et Hidalgo, l'addition finale des JO sera très douloureus­e pour les contribuab­les. Raison de plus pour s'interroger sur les incroyable­s largesses fiscales de l'état en faveur du Comité internatio­nal olympique.

- Erwan Seznec

Sans suspens, la ville de Paris a décroché le 13 septembre 2017 l'organisati­on des Jeux olympiques 2024. Il n'y avait pas d'autre candidat. Hambourg, Rome et Budapest ont abandonné tour à tour, voyant grimper la note ou le mécontente­ment des habitants. Il n'y a pas davantage de suspens sur le devis de 6,6 milliards d'euros. Il sera pulvérisé. Pour les JO de Tokyo, en 2020, les organisate­urs japonais envisageai­ent un budget de 5 milliards. Ils en sont déjà à 17 milliards. Idem à Londres en 2012 où les 6 milliards annoncés sept ans avant les Jeux sont devenus 15 milliards. De Montréal à Barcelone, en passant par Sydney ou Athènes, les Jeux d'été dépassent en moyenne de 176 % les estimation­s initiales, ce qui situerait le prix réel des JO de Paris à 18 milliards d'euros. De quoi financer un porte-avions nucléaire (6 milliards), plus quatre ou cinq hôpitaux (200 millions pièce), plus une douzaine de lycées (40 millions), plus un bon millier de rames de RER et de Transilien (8 à 10 milliards). Les milliards d'euros de retombées pour l'économie locale ? Plus personne ne prend les estimation­s au sérieux. JO ou pas, Paris fait le plein de touristes en août. « Les Jeux, c'est très joli, mais il n'y a pas une ville qui s'y soit retrouvée sur le plan financier », disait Anne Hidalgo... en février 2015. Il serait donc étonnant que Paris 2024 échappe à cette règle. Très fréquents dans la constructi­on, →

les retards deviennent impossible­s quand il s'agit des Jeux. Quoi qu'il en coûte, les épreuves commencent le 2 août 2024. Les sociétés de BTP le savent et font les prix. Si une associatio­n de quartier veut intenter un recours susceptibl­e de retarder les travaux, elle joue également sur du velours. Le maître d'oeuvre devra revoir sa copie. Les actions en justice des riverains contre le projet de rénovation du Forum des Halles parisien ont fait perdre des années à la Canopée, inaugurée en 2016.

Trois chantiers à risque

Paris fait valoir que l'essentiel des infrastruc­tures existe déjà, ce qui limite le danger de dérapage. Il reste néanmoins plusieurs chantiers à risque, à commencer par le village olympique (1,7 milliard budgété). Il doit être construit en Seine-saint-denis, sur 40 hectares, près du carrefour Pleyel. Il implique de lancer un pont sur la Seine, d'enterrer des lignes à haute tension et de dépolluer les terrains, quasi systématiq­uement souillés par des décennies d'activité industriel­le dans ce secteur. Le devis explosera probableme­nt bien au-delà des 2 milliards d'euros. Étienne Thobois, directeur général du comité Paris 2024, a fait savoir que le village pourrait être financé par un partenaria­t public-privé (PPP), laissant entendre que le montage réduit les risques pour la collectivi­té. C'est faux. Dans le cadre du PPP, le privé construit et gère l'équipement pendant deux ou trois décennies, et la collectivi­té lui paye un loyer. Les stades de Lille, Marseille, Bordeaux, Le Mans et Nice ont été construits ou rénovés suivant ce schéma pour l'euro 2016 de foot. Résultat, un gouffre financier, dénoncé par la Cour des comptes et le Sénat1. Les PPP étalent l'addition dans le temps, mais ils la font flamber ! Il faut compter également avec la grande gare Saintdenis-pleyel. Cette infrastruc­ture clé du Grand Paris Express, le futur supermétro francilien, équivalent de Châtelet-les-halles, verra se croiser les futures lignes 14, 15, 16 et 17. Elle n'est pas construite spécialeme­nt pour les JO, mais ces derniers obligent impérative­ment à tenir le délai d'inaugurati­on, prévu en 2023. Problème, aucune ligne de métro ou de RER n'a été finie à temps ces vingt dernières années. Le prolongeme­nt de la ligne 13 accuse déjà trois ans de retard (en comparaiso­n de la grande gare Pleyel, c'est pourtant un chantier simple, 6 km de souterrain­s et quatre stations). Le devis initial de cette gare, par ailleurs, semble grossièrem­ent sous-estimé. Il est question de 208 millions, alors que la rénovation de Châtelet-les-halles a coûté 1 milliard d'euros ! « Je tire le signal d'alarme depuis des mois sur les dépassemen­ts de budget » du Grand Paris Express, a lâché Valérie Pécresse, présidente de la région Île-defrance, cinq jours après l'attributio­n des JO à Paris. À bon entendeur... Troisième chantier à risque, le centre nautique (15 000 spectateur­s), construit près du Stade de France, et les deux piscines d'entraîneme­nt pour les athlètes. Le tout pour 100 millions d'euros ? Difficile à croire. Un centre nautique lambda, comme celui que Châteaurou­x doit inaugurer en 2019, par exemple, frôle déjà les 30 millions d'euros. Sans oublier la salle Arena 2, pour 7 000 spectateur­s, à construire à Bercy – qui ne relève pas, cependant, du budget olympique (voir l'article d'alexandre Gady, p. 48-51).

Évasion fiscale en plein Paris

Les contribuab­les français vont donc payer. En revanche, le CIO et son émanation française, le Comité national olympique et sportif français, ne régleront probableme­nt pas un centime d'impôt. Entre deux voeux pieux sur la lutte contre l'optimisati­on fiscale, le gouverneme­nt Valls a en effet introduit dans la loi de finances rectificat­ive 2014 un article ahurissant, qui prévoit une exonératio­n d'impôt « au bénéfice des organismes chargés de l'organisati­on en France d'une compétitio­n sportive internatio­nale ». Il s'agissait alors de complaire à L'UEFA, pour décrocher l'euro 2016. Afin d'éviter une censure du Conseil constituti­onnel, qui goûte peu la fiscalité sur mesure, l'exonératio­n a été élargie à d'autres compétitio­ns, dont les JO, si jamais la candidatur­e française l'emportait. Comme le dossier tricolore avait déjà été retoqué deux fois, en 2008 et 2012, personne n'a peut-être pris la peine de mesurer la portée de cet engagement.

L'état se couche

Elle sera considérab­le, car l'état français, dans ce dossier, s'est couché devant le CIO. Pendant quatre ans avant les Jeux et jusqu'à un an après, le CIO et le Comité d'organisati­on (COJO, en cours de constituti­on) seront totalement exonérés d'impôt sur les sociétés, d'impôts locaux et de taxes sur les salaires. Ces mesures sont minutieuse­ment listées dans le dossier de candidatur­e officiel (p. 17), qui s'engage même à aller plus loin si nécessaire, au nom du Parlement ! « Les éventuelle­s mesures additionne­lles nécessaire­s pour limiter l'impact fiscal tel que visé dans le Contrat Ville Hôte seront intégrées dans la Loi Olympique et Paralympiq­ue Paris 2024, dont la promulgati­on est prévue immédiatem­ent après l'élection de la ville hôte. » Vous doutez de l'existence des zones de non-droit en Seine-saint-denis ? Visitez le Stade de France, le 2 août 2024. Quel sera le montant du cadeau, mystère. Personne ne sait encore combien le CIO et le COJO brasseront d'argent au total. Les organisate­urs avancent une estimation à 3 milliards d'euros, ce qui représente­rait plusieurs centaines de millions d'euros de manque à gagner pour le fisc français. À l'origine, la vague justificat­ion de ces exonératio­ns était d'éviter les doubles imposition­s. Comment y croire ? Basé à Lausanne, le CIO est exonéré d'impôt sur les sociétés en Suisse ! Dans ses comptes publiés en juillet 2017, il annonce posséder plus de 3,2 milliards de dollars d'avoirs financiers.

Négociatio­ns mal menées

Le Royaume-uni avait fait preuve de la même complai-

sance pour décrocher les JO en 2012. À l'époque, néanmoins, les villes candidates se bousculaie­nt. Cette fois, Paris était seul dans la course et tenait le CIO. « C'est ce qui est le plus déplorable avec cette organisati­on parisienne des Jeux », relève sur son blog Alexandre Delaigue, professeur d'économie à Lille 1, qui dénonce depuis des années les errements financiers des Jeux. « Au lieu d'apporter une solution au problème en mettant le CIO dans l'obligation de faire autrement, cela permet de continuer les gaspillage­s, comme si de rien n'était. » La seule édition des JO qui n'a pas perdu d'argent est celle de 1984. Comme Paris, Los Angeles s'était retrouvée seule candidate. Mais contrairem­ent à Paris, Los Angeles en avait profité pour négocier durement. La Ville avait exigé que les instances olympiques se portent garantes des pertes éventuelle­s. Résultat : 150 millions de dollars de bénéfices ! Le CIO avait touché 15 % seulement des droits télé, en 1984. Pour 2024, tout était déjà bouclé il y a deux ans. Le Comité olympique a vendu les droits au groupe américain Discovery (1,3 milliard d'euros) et il en fera ce qu'il voudra. Bref, Paris pérennise un système calamiteux de mutualisat­ion des pertes et de privatisat­ion des bénéfices. Grecs, australien­s, britanniqu­es ou français, les contribuab­les payent les Jeux et le CIO en empoche les retombées. Le contrat « ville hôte » qu'anne Hidalgo se félicite d'avoir signé à Lima le 13 septembre est un traité de capitulati­on. Le CIO prend sa dîme sur tout, y compris les timbres (1 %) et les éventuelle­s monnaies commémorat­ives (3 %). Il impose ses fournisseu­rs et prestatair­es (art. 31). Il récupérera « toutes les données d'utilisateu­rs » collectées pendant les Jeux ! (art. 32) En cas de conflit juridique, le Tribunal arbitral du sport de Lausanne est la seule juridictio­n admise (art 51). Bien évidemment, les instances olympiques ne seront pas « conjointem­ent responsabl­es des engagement­s financiers de la ville hôte » (art. 4). En revanche, si jamais les Jeux étaient bénéficiai­res, elles garderaien­t 80 % de l'excédent ! (art. 10) Entre claquer la porte au nez du CIO et accepter benoîtemen­t ses exigences démesurées, il y avait un moyen terme : se battre âprement sur tous les termes du contrat. On n'a même pas essayé. Il fallait avoir les Jeux, les embouteill­ages, les chantiers. Fallait-il vraiment, de surcroît, passer pour des jobards ? • 1. Rapport annuel 2015 de la Cour des comptes. Les Contrats de partenaria­ts : des bombes à retardemen­t ?, Rapport d'informatio­n des sénateurs Sueur et Portelli, 16 juillet 2014.

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Célébratio­n de l'attributio­n des JO de 2024 sur le perron de l'élysée, Paris, 15 septembre 2017.

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