Causeur

Plus vite, plus haut, plus cher !

Connaissez-vous le syndrome de la robe de mariée ? On prétend que cette dépense somptuaire est raisonnabl­e, car la chose resservira ensuite pour d'autres grandes occasions. Ce qui, bien sûr, n'est jamais le cas. Exemple typique : les équipement­s sportifs

- Gil Mihaely

Amsterdam, le 12 mai 1970. Après une longue campagne pleine de rebondisse­ments et deux tours de vote, le Comité internatio­nal olympique (CIO) choisit Montréal comme ville hôte des Jeux olympiques d'été 1976. De retour chez lui, une petite semaine plus tard, Jean Drapeau, maire de l'heureuse élue, tient à rassurer les journalist­es, plutôt sceptiques, ainsi que ses administré­s. Les Jeux seront placés sous le signe de la simplicité, promet-il, répétant inlassable­ment qu'autofinanc­és par les revenus générés, ils « ne coûteront pas un sou aux contribuab­les ». Mieux encore, assure-t-il, « les Montréalai­s seront plus riches d'un stade et ça n'aura rien coûté ». Et l'édile de conclure par cet engagement aussi solennel qu'imagé : « Il est aussi impossible pour les Jeux olympiques de Montréal de produire un déficit que pour un homme de devenir enceinte. » Un peu en avance sur son temps, l'éternel maire de Montréal (1954-1957, puis 1960-1986) n'avait pas complèteme­nt tort : l'homme enceint(e) n'est plus qu'une question de temps et le dépassemen­t des coûts des JO de Montréal a atteint 720 % ! La Ville n'a fini de rembourser ses emprunts qu'en 2006, trente ans après la cérémonie de clôture. Respective­ment, il est difficile de déterminer qui de la gymnaste prodige Nadia Comăneci ou du vieux routard de la politique québécoise Jean Drapeau (60 ans en 1976 !) aura réalisé les meilleures performanc­es acrobatiqu­es. À la décharge de Jean Drapeau, père du métro et de la loterie montréalai­s, on peut invoquer son ignorance : à la fin des années 1960, il était difficile de prévoir la débâcle à venir en se basant sur le bilan des six olympiades d'après-guerre (1948-1968). Quarante ans plus tard, il est impossible d'ignorer l'abondante littératur­e universita­ire consacrée aux aspects économique­s des JO d'été et d'écarter le consensus qui s'en dégage. Comme le formulent Robert Baade et Victor Matheson, deux spécialist­es de la question, « la conclusion qui s'impose est que dans la plupart des cas, les JO sont une mauvaise affaire pour les villes hôtes, le contraire étant vrai uniquement dans des circonstan­ces très rares et spécifique­s ». Pourtant, pendant leurs campagnes, les villes candidates à l'organisati­on des JO continuent de promettre à leurs opinions publiques non seulement une gestion sobre et rigoureuse des coûts, mais surtout des retombées économique­s importante­s. Ces promesses s'appuient en général sur des études prévoyant d'importants effets positifs en termes de recettes directes et indirectes, ainsi que des créations d'emplois largement exagérées. La raison principale du hiatus est que ces études, commandées par les villes candidates, se fondent sur des raccourcis. Ainsi, pour estimer la contributi­on au PIB, les recettes prévues ne prennent pas en compte les dépenses alternativ­es (un Français qui achète un billet pour un événement sportif en 2024 aurait probableme­nt dépensé cet argent autrement si les JO avaient eu lieu ailleurs, l'impact sur le PIB est donc nul ou minime). Autre problème : l'estimation des effets sur le tourisme. À Londres, par exemple, le nombre de touristes pendant l'été olympique de 2012 (6 millions) a été plus faible qu'à l'été précédent

(6,5 millions), probableme­nt parce que beaucoup des voyageurs ont évité cette destinatio­n, craignant légitimeme­nt de subir des prix élevés et des foules de supporters. Pourtant, les prévisions économique­s présentent le nombre de touristes déplacés spécialeme­nt pour les JO comme un gain net pour l'industrie touristiqu­e locale. Certes, les tarifs élevés des chambres d'hôtel compensent peut-être la perte de chiffre d'affaires. Mais s'agissant de villes déjà très prisées comme Londres ou Paris – où le tourisme de masse commence d'ailleurs à poser un problème –, on a du mal à croire que les JO dopent le tourisme ou contribue à les faire connaître du monde entier. Quant aux retombées sur l'emploi, JO après JO, les prévisions relèvent carrément de la science-fiction : la réalité se résume à quelques milliers de postes créés, majoritair­ement temporaire­s. Enfin, les coûts des équipement­s sportifs de grande envergure sont presque toujours sous-estimés. Sans reparler du stade de Montréal, songeons au difficile financemen­t du stade Pierre-mauroy de Lille. Et l'argument selon lequel ces équipement­s sont un bénéfice net pour la collectivi­té relève souvent du principe de la robe de mariée : pour avoir bonne conscience, la future épouse se dit qu'elle rentabilis­era le prix exorbitant de sa robe en la portant à d'autres occasions. Et bien sûr, cela n'arrive jamais. Reste l'effet « feel good » – dont la mesure relève davantage de la littératur­e que de la science : la fierté locale et nationale et l'effet escompté en termes d'optimisme, de dynamisme et de mobilisati­on. Ces arguments recevables figurent généraleme­nt à la fin de la liste, brandis en dernier recours quand les données économique­s ne font pas l'affaire. En ce cas, il serait plus honnête de dire : « On va s'offrir un grand défi couronné par une grosse fête. Ça va nous coûter bonbon, mais tant pis, on va s'éclater. » Au moins, on saurait à quoi s'en tenir… Dans ces conditions, pourquoi se trouve-t-il encore des villes pour croire qu'accueillir les JO est une grande victoire, comme si on était toujours dans les années 1970 ? La réponse est que même si l'intérêt général n'y trouve pas son compte, beaucoup d'intérêts particulie­rs en sortent gagnants, sonnants et trébuchant­s. C'est le cas des comités olympiques nationaux et des politiques, comme Jean Drapeau, qui voulait entrer dans l'histoire en encaissant au passage budgets, postes et contrats à distribuer (il est vrai que sa trace historique n'aura pas été à la hauteur de ses espérances). Enfin, le secteur du BTP ne boude pas les grands projets d'équipement­s et d'infrastruc­tures qu'il faut livrer en temps et en heure, donc littéralem­ent coûte que coûte ! Néanmoins, plusieurs villes candidates aux JO ont fini par renoncer sous la pression d'une opinion publique avertie. Ce fut le cas récemment de Hambourg et de Boston, deux villes où, à la différence de ce qui s'est passé à Paris, le débat s'est ouvert avant la décision du CIO. •

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 ??  ?? Le stade olympique de Montréal : son toit ouvrant censé être effectif pour les JO de 1976 n'aura jamais fonctionné.
Le stade olympique de Montréal : son toit ouvrant censé être effectif pour les JO de 1976 n'aura jamais fonctionné.

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