Causeur

SEPTEMBRE ROUGE

Est-il bien raisonnabl­e de laisser un cinéaste déraisonna­ble commenter chaque mois l'actualité en toute liberté ? Assurément non. Causeur a donc décidé de le faire.

- Par Jean-paul Lilienfeld

On cherche à Jean-luc Mélenchon de mauvaises querelles depuis qu'il a harangué les Gens le 23 septembre place de la République. Avant de dégager, les journalist­es tirent leurs dernières cartouches avec une mauvaise foi qu'en dépit de son grand entraîneme­nt, il ne saurait égaler. Car souvenez-vous, les Gens… Le 19 août 1944 au matin, 2 000 policiers résistants s'emparèrent de la Préfecture de Police, y hissèrent le drapeau tricolore, ainsi que sur Notre-dame, et engagèrent le combat avec les Allemands. Dans la matinée, ils furent enrôlés dans les FFI. Pour, enfin, le lendemain, prendre l'hôtel de Ville. Cet engagement tardif d'une institutio­n coupable d'avoir montré un zèle certain à seconder les Allemands durant l'occupation ne fut-il pas celui de la rue ? Ces courageux policiers n'étaient-ils pas des Français du peuple ? Leur petit nombre à s'engager dans la lutte pour la liberté ne fut-il pas tout à fait représenta­tif du petit nombre de Français résistants avant le jour du défilé sur les Champs-élysées, le 26 août 1944, où il y eut dans l'assistance plus de résistants que la France ne comptait de citoyens ? Et qu'importe si ce jour-là, les Allemands étaient partis. C'est sans doute parce qu'ils avaient senti venir cette ire irrépressi­ble des Gens que les envahisseu­rs avaient fui… D'ailleurs, Jean-luc n'a jamais prétendu que la rue qui chassa les nazis était majoritair­e. Il serait même prêt à accorder que ce fût une ruelle qui en vint à bout… Le problème n'est pas que Jean-luc ait comparé Macron ou Juppé aux nazis. Il ne l'a pas fait. Le problème est que ce fin connaisseu­r se livre à une manipulati­on éhontée de l'histoire en toute conscience. Peut-être que, comme le suggère Jean-christophe Buisson dans Le Figaro, pressé par le temps, il en vient à s'imaginer un destin léninien, troublé par la coïncidenc­e de certains événements. Certains se rappellero­nt « Un siècle après », chanté par Serge Reggiani : Le secrétaire d'abraham Lincoln, qui s'appelait Kennedy Lui conseilla : « Au théâtre, n'y allez pas vendredi »

Un siècle après un autre Lincoln au président Kennedy Déconseill­a de se rendre à Dallas ce vendredi Abraham Lincoln fut élu président Abraham Lincoln en l'an 1860 John Fitzgerald Kennedy fut élu président John Fitzgerald Kennedy en l'an 1960

Andrew Johnson, successeur d'abraham Lincoln Andrew Johnson naquit en 1808 Lyndon Johnson, successeur de Kennedy Lyndon Johnson est né en 1908

Et justement en octobre... il y aura un siècle que Lénine…

Février 1917. Le mois où le peuple russe n'a plus voulu se soumettre. Le mois où les Gens russes sont devenus des insoumis ! Le peuple avait dégagé le tsar comme les Français ont dégagé Sarkozy en 2012. Et que se passa-t-il alors ? La Douma confia le pouvoir au prince Lvov ; dont la mollesse dans la tempête nous rappelle furieuseme­nt le capitaine de pédalo préféré de Jean-luc. Tandis que Hollande fut trahi par son ministre de l'économie, Emmanuel Macron, qui devint président, Lvov fut contraint de démissionn­er et remplacé par… son ministre de la Justice, Alexandre Kerenski, qui devint président. À 36 ans, ce jeune et brillant avocat venant de la société civile avait conquis le pouvoir. Il séduisait les foules par sa jeunesse. Les femmes le trouvaient beau, sa fréquentat­ion des prétoires lui avait conféré une grande aisance d'expression et il adorait se produire en public.

Ça ne vous rappelle rien les Gens ?

Et que fit ce jeune apparatchi­k de ce pouvoir obtenu grâce au sang du peuple ? Les Gens voulaient des bouleverse­ments, ils avaient des réformes ! Une révolution au compte-gouttes ! Ivre de sa popularité nouvelle, Kerenski était partout. Sur tous les fronts, dans toutes les réunions, sur toutes les estrades. Il menait l'éliminatio­n des membres de l'ancien régime et, « en même temps », assurait leur défense lorsque le peuple menaçait leur vie. Comme notre président, il promettait tout et son contraire – en même temps. Comme notre président, il tentait de contenter les uns et les autres, ménageant la chèvre et le chou, mécontenta­nt finalement tout le monde.

Cette modération lui permit même d'avoir parfois le soutien du Parti constituti­onnel démocratiq­ue, sorte de radicaux de droite, un genre de LR de l'époque.

Alors vint Lénine. Grâce à l'abnégation des insoumis réunis en soviets, il fédéra les mécontente­ments sociaux, agrégea les fâchés pas fachos. Il organisa la colère et son expression dans la rue. Et de même que Jean-luc nous demande de déferler sur les Champs-élysées, Lénine déclara qu'il était temps pour le peuple de « déferler » dans toute la Russie pour en finir avec le gouverneme­nt provisoire bourgeois qui avait confisqué la révolution au profit d'une nouvelle élite, par un coup d'état feutré, une sorte de coup d'état social quoi.

À force de vitupérer les « Hamon » et les « Laurent » de son époque, Lénine devint le seul représenta­nt crédible de l'opposition et attendit que les mesures impopulair­es prises par Kerenski, aggravées par son orgueil de plus en plus démesuré, le rendent assez détestable pour être contesté dans la rue. C'est ce qui arriva le 25 octobre 1917.

Jean-luc Mélenchon a failli réussir à faire croire que son aptitude à la véhémence, sa violence rhétorique et ses coups de gueule faussement spontanés étaient l'expression de la colère populaire, plutôt que celle de son carriérism­e trop souvent contrarié. Mais, maintenant que le peuple ingrat l'a trahi, le privant du second tour des présidenti­elles, ne lui octroyant que 21 députés, que lui restet-il après une aussi longue route politique, sinon le fantasme d'un 25 octobre « un siècle après ».

François Mitterrand disait de lui : « Il est doué et ira loin, à condition que sa propre éloquence ne l'enivre pas. » Je ne peux que constater qu'il est tellement ivre des effluves du pouvoir, qui n'ont finalement fait que lui effleurer la narine, qu'il ne se contente pas de voir double. Il voit quintuple d'après la police, qui recense 30 000 manifestan­ts là où il en claironne 150 000. Pour être plus objectif, entre les chiffres mencheviks de la police et ceux bolcheviks des Insoumis, on peut penser qu'il voit au moins triple.

Ce qui demeure le signe d'un état de confusion certain. •

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