C'ÉTAIT ÉCRIT ORAGES NON DÉSIRÉS
Si la réalité dépasse parfois la fiction, c'est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l'avenir. Cette chronique le prouve.
« Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie ! Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon coeur. » Il y eut une époque où les écrivains confondaient volontiers leurs états d'âme avec des phénomènes météorologiques extrêmes, comme Chateaubriand dans René en 1802. On n'en est plus là : la série d'ouragans qui a dévasté les Caraïbes pose des questions beaucoup plus contemporaines qui ne sont plus celles du réchauffement des âmes de jeunes gens en proie « aux vagues des passions », mais celles du lien entre le réchauffement climatique et ces cyclones spectaculaires. Les spécialistes restent prudents. Fabrice Chauvin, chercheur à Météo France, explique : « Je pense qu'on ne pourra jamais dire qu'irma a été provoqué par le réchauffement climatique. Les modèles ne prévoient pas d'augmentation de cyclones à l'échelle globale même si on voit une tendance à ce que les cyclones intenses soient favorisés. » Pour Ulysse, les choses étaient plus claires, mais pas forcément plus rassurantes. Les cyclones sont la vengeance des Dieux. Au chant V de l'odyssée, c'est Poséidon qui s'acharne sur son radeau : « Il rassemble les nuages, bouleverse les mers, et, prenant en main son trident redoutable, il déchaîne les tempêtes qui naissent de tous les vents opposés ; sous d'épais nuages, il enveloppe à la fois et la terre et les eaux, et la nuit sombre descend des vastes régions célestes. » Cette description fait encore écho avec les premiers témoignages recueillis, comme celui de ce journaliste de Radio Caraïbes, Ulysse malgré lui, qui fait état « de véhicules renversés, de bateaux qui ont quitté la mer et se retrouvent au milieu de la route, de toits éventrés ». Le mot « apocalypse » revient par ailleurs comme un leitmotiv dans les propos des rescapés. On se souviendra alors que le grand J. G. Ballard, le romancier britannique, docteur ès-apocalypses, avait imaginé en son temps, dans un court roman, Le Vent de nulle part, une humanité tout entière, et pas seulement celle des Caraïbes et de la Floride, obligée de se réfugier sous terre pour survivre à des cyclones sans fin avec un personnage qui se demande, aussi désorienté qu'un chercheur de Météo France ou notre Ulysse martyrisé par les éléments : « Mais peut-être faut-il y voir plutôt la volonté d'une Providence outragée, décidée à balayer l'homme et sa turpitude de cette terre jadis verdoyante ? »