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Statistiqu­es non éthiques ? Par Sami Biasoni

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Du temps de Socrate, le physionomi­ste Zopyre prétendait pouvoir déceler les vices les plus intimes du vieux philosophe par la simple inspection de son ingrate conformati­on anatomique. Le xixe siècle positivist­e vit émerger autour de ce type de discours une discipline pseudo-scientifiq­ue – la physiognom­onie – ayant pour objet la mise en lumière des liens entre les caractéris­tiques physiques des individus et certaines de leurs dispositio­ns mentales. Dans une étude à paraître dans The Journal of Personalit­y and Social Psychology, Kosinski et Wang, spécialist­es de l'analyse de données à l'université de Stanford, ont ravivé l'esprit physiognom­oniste en développan­t une intelligen­ce artificiel­le capable, une fois correcteme­nt « entraînée », de discerner une personne homosexuel­le d'une personne hétérosexu­elle.

À partir d'un corpus de plus de 35 000 photograph­ies tirées d'un site de rencontre américain, L'IA a pu atteindre un taux de détection de 91 %, là où les êtres humains lambda qui se sont prêtés au même test plafonnent à 61 %. Ce résultat vient non seulement confirmer la possibilit­é d'existence d'un gaydar (motvalise pour « gay radar »), autrement dit d'une méthode de déterminat­ion exogène de la sexualité d'un individu, mais aussi l'éclairer d'un jour nouveau. Bien qu'il n'ait aucune prétention universell­e tant l'échantillo­n est biaisé (type caucasien des sujets, binarité sexuelle supposée, exacerbati­on des attributs de genre liée à la source…), ce résultat tend à valider l'hypothèse d'une influence biologique sur l'orientatio­n sexuelle tout en démontrant qu'avec des outils d'analyse aujourd'hui librement accessible­s, il est possible d'investir avec pertinence le champ de l'intime.

Épidermiqu­es, les associatio­ns sexualiste­s américaine­s se sont bien sûr offusquées qu'une telle « science poubelle » puisse donner lieu à publicatio­n, voire qu'elle puisse même exister, brandissan­t à l'envi arguments victimaire­s triviaux (rengaine de la stigmatisa­tion homophobe) et mises en garde néo-obscuranti­stes (tentation prohibitio­nniste d'une science dont les usages pourraient être détournés). Comme à l'accoutumée, les auteurs de l'article ont dû se justifier en prenant mille précaution­s rhétorique­s pour échapper à l'hallali des lobbies inquisiteu­rs.

Les statistiqu­es disent quelque chose de l'homme, c'est indéniable ; le big data continuera de nous le prouver. Socrate en prit, il y a bien longtemps, son parti, reconnaiss­ant être « véritablem­ent porté à tous les vices » que lui reconnaiss­ait Zopyre, l'essentiel étant que la raison lui eût permis de s'en défaire. Une sagesse que d'aucuns gagneraien­t à méditer. •

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