NONSENSE COMMUN Par Basile de Koch
Quel rapport entre un hippopotame dans une piscine, le mariage de Norman Bates et l'anatidaephobie ? La réponse s'impose : tout ça n'a pas de bon sens ! C'est même ce que j'apprécie tant chez l'écrivain Gary Larson, le dessinateur Jean et mes chouchous les Sparks : leur nonsense commun.
Mais pour être à l'avant-garde, ces gens-là n'ont pas le monopole de l'absurde, loin de là. Le leader du secteur est incontestablement l'absurde involontaire, plus couramment appelé « sérieux ». Un exemple récent ? Le lamento médiatique unanime et obligatoire à la mort de Pierre Bergé, avec embaumement instantané d'un cadavre encore chaud. Exquis, non ?
UN JEAN NORMAL Lundi 4 septembre
Dans Le Point, j'avais remarqué depuis longtemps les dessins signés Jean, nettement décalés par rapport au reste du magazine, et plus généralement à tout. Grâce à l'ami Google, j'ai pu me faire une idée de l'univers de l'auteur à travers ses dessins et même ses « livres » – qui montent encore d'un cran dans le nonsense. Rien que les titres m'ont ravi d'emblée : « Les filles sont des gens comme vous et moi », « Les Beatles font l'intéressant »… Enfin quelqu'un de plus fêlé que moi, si ça se trouve ! Du coup, j'ai voulu à tout prix rencontrer ce Jean-là de notre vivant. Prenant prétexte de cette chronique, j'ai donc sollicité une interview, que l'ami Jean a aussitôt acceptée de bonne grâce. En découvrant son oeuvre, j'avais tenté en vain de deviner à quoi pouvait bien ressembler le créateur de ce monde même pas parallèle. Faute d'indices, j'en étais même arrivé à me le représenter vaguement à l'image de ses personnages. Absurde, n'est-ce pas ? À ce compte-là, un Picasso n'aurait pas fait de vieux os.
Le vrai Jean est un grand type sec, hâlé, genre élevé en plein air. Et avec ça souriant, simple, ouvert… « Plus fêlé que moi » ? Tu parles… Un modèle d'équilibre, oui ! C'est bien simple : il n'y a pas plus raisonnable que ce virtuose de l'aberration.
Face à un tel phénomène, j'ai dû remballer vitement mon questionnaire bateau. Jean est trop modeste pour bien parler de son oeuvre ; et c'est à peine s'il connaît l'arbre généalogique du nonsense, dont il occupe pourtant une branche – et dont certaines racines remontent, comme dirait l'autre, à la plus haute Antiquité.
En fait d'absurde, notre dessinateur se dit « autodidacte ». Tout juste accepte-t-il de reconnaître, sous la question, que pour lui Chaval et Bosc sont des « maîtres ». Puis, sur sa lancée, voilà que parmi les vivants il cite spontanément Willem, vantant à juste titre sa « subtilité » ; en revanche, il se montre plus nuancé sur Plantu : « Je n'arrive plus à me souvenir du dernier dessin drôle que j'ai vu de lui. »
Professionnellement, Jean dit n'avoir qu'un regret : ne pas maîtriser l'exercice suprême, où excellait Chaval dit-il : le dessin sans légende. Erreur en ta faveur, cher Jean ! Celui que nous reproduisons ici, par exemple, pourrait fort bien s'en passer. J'ai fait le test en cachant le texte, et il est probant !
Pour ceux qui n'ont jamais vu Psychose (et Dieu sait que c'est pas facile à trouver !), ça ne change évidemment rien. La plupart se montrent sensibles néanmoins à une certaine cocasserie de la situation. Quant aux autres, ils reconnaissent au premier coup d'oeil ta Mrs Bates, avec son chignon grisonnant et son couteau de boucher, et du même coup son grand fils Norman – sans vouloir spoiler.