Causeur

Le style Melville en cinq scènes

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Bob se juge – Bob le flambeur Épuisé par une longue partie de cartes, Bob (Roger Duchesne) croise le reflet de son visage, s’observe et conclut à voix haute : « Une belle gueule de voyou. » (Melville le silencieux est aussi un fantastiqu­e dialoguist­e, on ne le dit pas assez). Du Doulos au Samouraï, en passant par Montand dans Le Cercle rouge, le héros se scrute, se juge avant de se perdre. Un motif classique, du pur Melville. Meurisse ironise – Le Deuxième Souffle Le commissair­e Blot (Paul Meurisse) débarque dans un bar après une fusillade et énumère, avant même que les témoins ouvrent la bouche, les alibis de chacun. Dans ce lieu exigu, Melville signe un plan-séquence de plus de cinq minutes. Meurisse avait même le trac avant de se lancer dans cette scène périlleuse. « Agissez le plus naturellem­ent possible, lui dit calmement le réalisateu­r, j’ai tout prévu. » On trouve un tour de force semblable avec le planséquen­ce du Doulos qui prouve la maîtrise grandissan­te de Melville l’autodidact­e. Le seppuku de Delon – Le Samouraï Jeff Costello (Delon) revient sur les lieux de son crime, enfile des gants blancs et s’avance vers la sublime Cathy Rosier avec un revolver vide. Il est abattu et tombe lentement, les mains sur le coeur. Peu après, un flic se glisse derrière la batterie du night-club et frappe la caisse claire, un tom et une cymbale pour annoncer la fin du spectacle. Dramatique, esthétique, glacial et ironique… des armées de faiseurs américains et asiatiques s’y essaieront ensuite. En vain. Ventura « nettoie » – L'armée des ombres Un groupe de résistants doit éliminer un traître dans une maison isolée. Problème : la maison voisine est finalement occupée, impossible d’utiliser une arme, il faudra l’étrangler. La plus jeune des recrues, qui pourtant réclamait de l’action, s’effondre. Ventura assiste à la scène le visage fermé. En quelques minutes insoutenab­les, Melville dit tout de l’horreur d’une guerre entre compatriot­es. Le rachat de Montand – Le Cercle rouge Ancien tireur d’élite devenu alcoolique, Montand doit viser juste pour paralyser un système d’alarme. Son arme est posée sur un trépied pour éviter les tremblemen­ts. Soudain, il la dévisse, épaule et tire « à l’ancienne ». Ses complices sont pétrifiés, certains de son échec et de leur perte. Il réussit pourtant et sort de ses années de déchéance. Le tout sans un seul dialogue et avec des acteurs tous masqués. Du grand art. •

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