SUS AUX BRIGITTE !
Est-il bien raisonnable de laisser un cinéaste déraisonnable commenter chaque mois l'actualité en toute liberté ? Assurément non. Causeur a donc décidé de le faire.
Brigitte Lahaie, dont vous et moi ignorons le passé, mais qui pour ce qu’on en connaît sait plus que toutes les « bigotes de la cause » ce qu’est le sexe non désiré, si ce n’est contraint, lâche dans un sanglot : « Je suis surtout une femme qui a souffert dans sa chair et qui depuis trente ans aide les femmes à se libérer. » Et parce que cette femme a l’élégance de ne pas s’appesantir sur son passé, dont on devine bien, aux quelques détails lâchés sur le divan de Fogiel, qu’il comporte des zones troubles, parce qu’elle a la dignité de sa résilience obtenue à force de travail et d’obstination, elle n’aurait droit qu’au lynchage en ligne, l’empathie étant réservée à celles dont le malheur non surmonté permet de se sentir utiles, grandes et généreuses ? Brigitte Lahaie parle de ce qu’elle connaît mieux que beaucoup d’autres. Le fait de jouir parfois pendant un viol – parfois, ça veut dire « pas souvent », ça veut dire « rarement », mais celles à qui ça arrive se sentent tellement coupables qu’elles s’en considèrent deux fois plus sales – est une vérité et un obstacle supplémentaire à la reconstruction tellement connus que même un site comme « NON aux violences sexuelles » [violences sexuelles.be/mythes-ausujet-des-agressions-sexuelles, NDLR] traite ce problème dans une rubrique démontant les mythes sur le sujet : « Le mythe : Si la victime est excitée sexuellement ou a eu un orgasme durant le viol, cela signifie qu’elle a ressenti du plaisir. La réalité : Certaines victimes ont une érection ou un orgasme durant une agression sexuelle, ce qui peut être troublant, et donner l’impression que c’était agréable. La plupart des personnes ne savent pas qu’une érection/un orgasme peut survenir durant un stress extrême. Il n’est donc pas question d’excitation sexuelle. […] Que la victime ait le vagin mouillé ne signifie nullement qu’elle soit consentante ou qu’elle en ait envie. » J’étais jusqu’à présent assez perplexe sur #balancetonporc, partagé entre l’évidence qu’il libérait une parole indispensable et celle de sa non moins évidente toxicité entre les mains sans éthique de la « foule », celle qui allait assister aux exécutions tant qu’elles étaient publiques, celle qui attend les criminels à la sortie des tribunaux pour leur cracher dessus, celle qui faisait le salut nazi avant d’apprendre précipitamment le V de la Victoire en 1944. L’appel
aux réactions de masse, la caisse de résonance démultiplicatrice avaient entamé mon soutien à ce hashtag. Un « microévénement » a transformé ma méfiance en défiance. Qu’on en juge. La réalisatrice Brigitte Sy a commis un crime ! Elle a signé la tribune des 100 femmes. Il y a des points que je ne partage pas dans cette tribune. Reste que la résumer aux approximations faites depuis sa parution est un procédé inique quoique désormais banal de disqualification de quiconque ne pense pas « comme il faut ». De plus, l’éternel argument « c’était-pasle-moment » me rappelle fâcheusement le prétexte de « non-stigmatisation » qui a longtemps permis d’interdire que l’on voie certains problèmes, et au passage de décerner à ceux qui voyaient et qui disaient leurs galons de néoréactionnaires. Et voilà que Brigitte Sy, la mal-pensante, vient d’apprendre que son film, L’astragale, était déprogrammé du cycle « Le genre fait son cinéma » au Ciné 104 de Pantin, organisé par le Collectif féministe de Pantin, par le mail suivant : « Les projections-débats du cycle “Le genre fait son cinéma” ont pour objectif d’engager avec les habitant-e-s de Pantin une réflexion sur le féminisme et sur les inégalités entre les femmes et les hommes. Nous pensons que le moment n’est pas opportun pour débattre sereinement dans ce cadre avec une signataire de la tribune des cent femmes. En effet, les positions tenues dans cette tribune vont à l’encontre de valeurs féministes que nous portons. Elles banalisent les violences faites aux femmes et dépolitisent les questions que les féministes ont mis 30 ans à construire. Elles jettent le discrédit sur les féministes, qui se sont battues et continuent de se battre pour l’émancipation et la liberté des femmes. Enfin, elles expriment un réel mépris de classe. Nous sommes disposées à en discuter avec elle si elle souhaite s’en expliquer. » On cauchemarde ! Qui sont ces « femmes de bien » pour laisser généreusement à cette réalisatrice la possibilité de « s’expliquer » si elle le souhaite, de quel droit la traduisent-elles devant ce tribunal populaire autoproclamé ? On ne parle pourtant pas ici de propos honteux, on parle d’une ligne plus nuancée du féminisme. On parle de s’éloigner du manichéisme. Son film était programmé depuis des mois (la projection initialement prévue en décembre avait été reportée en janvier pour des questions d’organisation), c’est donc bien uniquement en réaction à sa signature qu’il a été censuré. Certes, ce collectif est libre de programmer les films qu’il souhaite, mais déprogrammer un film au prétexte que sa réalisatrice s’est écartée de la ligne laisse craindre quelques stages agricoles à venir pour rééduquer les réfractaires au « Petit Livre rose ». De plus, l’accusation portée contre Brigitte Sy et les signataires de la tribune du Monde de « dépolitiser » le débat et d’exprimer « un réel mépris de classe » est particulièrement significative. Elle suggère que #balancetonporc aurait pour but de défendre les travailleuses sur leur lieu de travail. Il est évident que les femmes aux prises avec leurs chefs de service et autres petites ou grandes autorités sont beaucoup plus démunies et vulnérables que celles qui, comme notre patronne vénérée, n’hésiteraient pas à envoyer chier qui de droit en cas de besoin. Il n’en est pas moins vrai que des actrices connues, dont les témoignages, en larmes avec effet retard, ont ému le monde entier, n’ont pas grand commun avec la plupart des victimes. Certes, toutes sont confrontées au même choix cornélien : dénoncer ou perdre un emploi. Les unes prennent le risque de rater un film à Oscar, les autres de ne pas avoir de quoi nourrir leurs enfants. Les ukases et excommunications d’une poignée de dogmatiques persuadées d’être la seule incarnation de la vertu, l’élimination du contradicteur, la diabolisation de l’avis différent sont finalement une manière d’apporter un soutien criant à cette tribune nuancée, d’en montrer toute sa pertinence : ne rien nier de l’indispensable combat contre les violences faites aux femmes, mais se défier du néomaccarthysme de l’ordre moral. Le mois prochain, nous verrons pourquoi il serait judicieux de rayer des encyclopédies les articles sur les érections post mortem, notamment chez les pendus. Prétendre que la mort peut faire jouir est scandaleux et la mandragore est une fleur réactionnaire. •