Causeur

La Nouvelle France

Mennel Ibtissem est une Française de notre temps : adepte des réseaux sociaux, de la théorie du complot et de la diabolisat­ion d'israël. Mais fallait-il la contraindr­e à quitter « The Voice » au risque de la jeter définitive­ment dans les bras des islamist

- Alain Finkielkra­ut

Mennel Ibtissem, une chanteuse enturbanné­e dont la voix avait fait sensation lors d'un concours de télé-crochet, a dû abandonner en cours de route, après la découverte sur son compte Twitter de deux messages postés, l'un après l'attentat de Nice, l'autre après l'égorgement du père Hamel dans l'église de Saint-étienne-durouvray. Le premier disait : « C’est bon, c’est devenu une routine : un attentat par semaine, et toujours, pour rester fidèle, le “terroriste” prend avec lui ses papiers d’identité. C’est vrai, quand on prépare un sale coup, on n’oublie pas de prendre ses papiers. » Et sur le second message, on lisait ces simples mots : « Les vrais terroriste­s, c’est notre gouverneme­nt. » L'interprète d'hallelujah, de Leonard Cohen, chante aussi ces beaux vers : « Ô Allah, sauve les musulmans de Gaza ! Sois leur soutien et leur allié. Ô Allah, toi qui as fait descendre le livre saint, qui déplace les nuages, destructeu­r des armées, détruis-les et ébranle les oppresseur­s des innocents ! Gloire et louange à toi ! » Mennel a 22 ans, ce n'est donc pas une « môme », comme je l'entends dire aujourd'hui. Elle n'échappe pas à l'imputabili­té. Elle doit pouvoir répondre de ses paroles et de ses actes. Mais fallait-il la contraindr­e à quitter « The Voice », au risque de la jeter définitive­ment dans les bras des islamistes ? Ou fallait-il au contraire lui laisser une chance d'intégratio­n par le succès, au nom du droit à l'erreur ? Personnell­ement, je pencherais plutôt pour la seconde option et je ne me serais pas arrêté à cette affaire si Saïd Benmouffok, professeur de philosophi­e au lycée Condorcet de Limay, n'avait publié sur le site de Libération une tribune intitulée « Mennel, une Française ordinaire » et s'il n'avait expliqué à la télévision ce qu'il entendait par là : « Mennel est très ressemblan­te à de nombreux élèves que je peux avoir en terminale, et même dans le supérieur. En assistant à ce lynchage, j’ai trouvé ça insupporta­ble. Ce qu’elle a dit, c’est ce à quoi on a assisté dans les salles de classe après les attentats de 2015 et 2016. Elle n’a fait que traduire la bêtise de l’air du temps, elle est à l’image de ce que sont les enfants de sa génération. Que ce soit inacceptab­le, c’est une chose, ça ne justifie en rien le lynchage qu’elle a subi. » En guise d'alternativ­e à ce traitement féroce, le professeur de philosophi­e préconise la déconstruc­tion des thèses complotist­es et des stéréotype­s antisémite­s. Mais il reconnaît son échec en constatant que ses élèves et tant d'autres dans les lycées français opposent le sort malheureux de Mennel à celui du candidat juif de « The Voice » qui continue tranquille­ment son aventure : « Comme par hasard, ils ont laissé chanter un juif et éliminé une musulmane. » Cet aveu démoralisa­nt ne perturbe pas les journalist­es qui protestent contre la disqualifi­cation de Mennel. Ces partisans de la transparen­ce et de l'investigat­ion tous azimuts, ces profession­nels patentés du fouillage de merde s'indignent qu'on soit allé enquêter sur elle et qu'on ait réussi à exhumer des tweets compromett­ants. Ces apôtres de la tolérance auraient voulu qu'elle pût aller sans encombre jusqu'à la fin d'un concours qu'elle avait toutes les chances de gagner, et qu'éric Zemmour, lui, fût enfin frappé d'interdicti­on. Si ce pays se portait bien, elle connaîtrai­t un destin de star, tandis qu'il serait réduit au silence. Mennel, c'est la France qui se cherche ; avec ce qu'edwy Plenel a appelé « ses saloperies fascistes », Zemmour, c'est la véritable anti-france. « The Voice » pour elle, le bâillon pour lui : ce souhait explicitem­ent formulé m'effraie et me scandalise, alors même que le récent éditorial de Zemmour sur Charles Maurras m'a mis littéralem­ent hors de moi. Je comprends qu'on se refuse à évacuer Maurras de la mémoire nationale. Zemmour cependant va beaucoup plus loin : il affirme que le temps est venu de réconcilie­r les mémoires de la Seconde Guerre mondiale, et il dit qu'en soutenant Pétain, Maurras a refusé de choisir entre les gaullistes pro-anglais et les collabos pro-allemands. Sans doute voulait-il souligner le caractère singulier de la position prise par le chantre de « la France seule ». Mais le propos est pour le moins maladroit. Quant à réconcilie­r les mémoires de la Résistance et de la Collaborat­ion, je répondrai avec les mots des adolescent­s d'aujourd'hui : même pas en rêve ! L'épisode Pétain-laval est une tache

ineffaçabl­e de notre histoire. Zemmour aurait dû lire et méditer ces phrases du général de Gaulle dans les Mémoires de guerre : « Et puis l’épreuve, si elle fut marquée pour nous, Français, par une gloire tirée du plus profond de l’abîme, n’en a pas moins comporté d’abord des défaillanc­es désastreus­es. Avec la satisfacti­on causée par le dénouement, elle laisse – c’est pour toujours ! – une douleur sourde au fond de la conscience nationale. » Tout à sa condamnati­on des excès pénitentie­ls de la France d'aujourd'hui, Éric Zemmour n'entend plus la voix du général de Gaulle. Il n'y a pas de défauts dans sa cuirasse, il n'y a pas de place pour la douleur sourde dans sa vision de la France et du monde. C'est sa grande faille que de n'avoir pas de faille. Il ne mérite pas pour autant d'être excommunié. Ses censeurs, en outre, ne veulent pas s'arrêter là. Ils dénoncent avec la même hargne les républicai­ns laïques qui peuplent le Conseil des sages nommé par Jean-michel Blanquer. Ces indignés sont en train d'annexer les lanceurs d'alerte à ce qu'ils appellent la « fachosphèr­e ». Ils militent pour une France métissée, c'est-à-dire « mennelisée », dont rien ni personne ne doit entraver ou retarder l'avènement. Leur rêve est notre cauchemar, et honte à nous si nous persistons à trembler. Les antilynche­urs ont décidé d'avoir notre peau, à nous, les laïcards. •

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Mennel Ibtissem, à l'émission « The Voice » sur TF1.

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