Causeur

Des indigènes sous perfusion

Pour la mouvance décolonial­e et indigénist­e, l'argent public n'a pas d'odeur. Qu'il fait bon conspuer le « racisme d'état », alimenté par les subsides d'une France que l'on abomine !

- Erwan Seznec

Indigénism­e ? Décolonial­isme ? Il y a une dizaine d'années, en France, ces termes étaient connus seulement des spécialist­es de l'amérique latine. Progressiv­ement, un courant d'opinion structuré s'est formé autour d'eux. Larguant les amarres avec la pensée originelle, centrée sur la place des Indiens dans le monde sud-américain, le décolonial­isme hexagonal a développé des théories sur le racisme latent de la société française envers les Arabes et les Noirs, tout particuliè­rement lorsqu'ils sont musulmans. Le lecteur non averti qui se plonge dans les écrits indigénist­es est très rapidement désorienté par des inversions de repères inattendue­s. L'antisémiti­sme n'a plus rien en commun avec le racisme. Défendre le port du voile pour les musulmanes devient progressis­te. Idem pour la non-mixité homme-femme dans l'espace public qui, en certaines circonstan­ces, contribuer­ait à l'égalité en libérant la parole des femmes. Et ça marche. L'union nationale des étudiants de France (UNEF), à laquelle ont adhéré à leur époque des personnali­tés aussi différente­s que Jean-marie Le Pen, le futur cardinal Lustiger et Jean-marie Cambadélis, pratique depuis au moins un an les réunions non mixtes racisées. En clair, des femmes noires et arabes parlent entre elles. Idem à SUD Éducation 93, où une formation sur l'antiracism­e comprenant un atelier non mixte racisé était organisée à l'automne dernier, avec le Collectif contre l'islamophob­ie en France (CCIF) et les compagnons de route des Indigènes de la République... « Inconstitu­tionnel et inacceptab­le », avait tweeté le ministre de l'éducation Jean-michel Blanquer. C'est lui qui paie : l'éducation nationale prend chaque année en charge, statutaire­ment, douze journées de formation pour les enseignant­s.

L'exploiteur blanc en ligne de mire

L'UNEF, Solidaires... Le mouvement décolonial est clairement ancré à gauche. Fania Noël, une des organisatr­ices du camp d'été décolonial non mixte racisé de Reims, en 2017, se définit comme « afrofémini­ste marxiste ». Au-delà de ses inévitable­s dissension­s internes, le mouvement se soude dans la dénonciati­on d'un archétype : l'exploiteur blanc. Que l'on partage ou non ses vues, le travail accompli force le respect. La mouvance existe. Elle fédère des militants sincèremen­t convaincus d'oeuvrer à long terme à une cohabitati­on paisible des cultures. Elle impose ses thématique­s dans le débat. Mediapart a couvert le camp décolonial de Reims en acceptant les conditions des organisate­urs : pas de journalist­e homme blanc. Cette ascension éclair dans le ciel des idées, néanmoins, carbure avec un moteur un peu paradoxal, pour un mouvement qui dénonce le racisme d'état : l'argent public. Ses associatio­ns et ses éditeurs sont subvention­nés. Ses colloques sont aidés. Le Parti des indigènes de la République est un des plus ardents avocats du décolonial­isme. Sa porte-parole, Houria Bouteldja, travaille à l'institut du monde arabe, dans la partie administra­tion (voir Causeur n° 53). Quand elle s'exprime, c'est en général à l'invitation d'universita­ires : le départemen­t communicat­ion de Rennes 2 en mai 2017, la faculté de philosophi­e de Toulouse à l'été 2016, la faculté de Limoges en novembre 2017 (conférence annulée, dans ce dernier cas). Si Houria Bouteldja a déjà bravé le froid et l'ennui pour interpelle­r les colonialis­és présumés sur la dalle d'argenteuil, c'était sans caméra, ce qui serait tout à son honneur. La plupart du temps, elle évolue dans un circuit plus confortabl­e. Son livre La France, les Juifs et nous a été publié en 2016 par La Fabrique. Cet éditeur s'est vu attribuer en 2014 une subvention de 30 000 euros par le conseil régional d'îlede-france. Rapporté à la taille de la société (380 000 euros de chiffre d'affaires en 2016), c'est considérab­le. L'entregent du fondateur de la Fabrique, Éric Hazan, y est sans doute pour quelque chose. Cet éditeur expériment­é est l'archétype du révolution­naire en chambre, appelant au soulèvemen­t le matin (L’insurrecti­on qui vient, collectif anonyme, 2007), répondant l'après-midi sur les antennes de Radio France aux questions de Laure Adler (septembre 2017) ou de Daniel Mermet (novembre) avec toute l'onctuosité requise.

La France fasciste comme fonds de commerce

En 2010, Houria Bouteldja était en couverture d'un autre livre, Nique la France : devoir d’insolence, cosigné par le rappeur Saïd Zouggagh, alias ZEP, et Saïd Bouamama. Un tandem de rappeur et d'universita­ire improbable, mais pas unique en son genre (voir page suivante le cas de Pascal Boniface et de Médine Zaouiche). Le livre doit sa notoriété au doigt d'honneur que fait Houria Bouteldja en couverture, ainsi qu'aux paroles de la chanson Nique la France, dont le CD était distribué avec le livre. Extraits : « Nique la France ; nazillons ; bidochons décomplexé­s ; gros beaufs qui ont la haine de l’étranger ; Ton pays est puant, raciste et assassin ; Petit donneur de l’çons, petit Gaulois de souche, arrête ton arrogance, arrête d’ouvrir ta bouche ; Et c’que je pense, de leur identité nationale, de leur Marianne, de leur drapeau et de leur hymne à deux balles, j’vais pas te faire un dessin, ça risque d’être indécent1.» Ceux qui imaginerai­ent Saïd Bouamama en troisième frère Kouachi feraient totalement fausse route. Âgé de 60 ans, il se dit docteur en socio-économie. Il a publié plusieurs ouvrages. Sur le plan financier, ce pays « puant, raciste et assassin » ne semble pas avoir été trop cruel avec lui. Il est l'un des principaux ani- →

Coauteur du livre Nique la France, Saïd Bouamama a bénéficié en 2016 du soutien financier du conseil régional du Nord-pas-de-calais.

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Rassemblem­ent du Parti des indigènes de la République (PIR) pour « exiger la dissolutio­n de la LDJ », Paris, novembre 2012.

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