Causeur

Réformes : Macron nage en eaux tièdes

Droit du travail, statut des cheminots, taxe d'habitation: les timides réformes engagées par l'exécutif cachent le refus de bousculer les Français et l'incapacité à faire fléchir l'allemagne. Fonctionna­ires et élus locaux sont loin d'avoir renoncé à leurs

- Jean-luc Gréau

Jean-luc Gréau

Voilà neuf mois révolus que Macron, installé à l’élysée avec la bénédictio­n des bureaucrat­ies médiatique et financière, peut gouverner en s’appuyant sur sa majorité parlementa­ire. Comme c’est un homme pressé que le gars Emmanuel – sous cet angle, il rappelle Sarkozy et Renzi –, il est déjà temps de dresser un premier état des lieux1. Ce caractère d’homme pressé convient à un système qui veut des serviteurs affichant leur bonne volonté jour après jour sous le regard des médias et des marchés. Les réformes pleuvent sur nous comme les balles sur les soldats français à la bataille de Gravelotte­2 : réforme du droit du travail, de la taxe d’habita- tion et de L’ISF, taxation des retraites, gel des dépenses d’infrastruc­ture, réforme de la SNCF, nouveau super impôt foncier à l’horizon. Il y a deux façons de traiter le sujet : à l’endroit, les réformes engagées ; à l’envers, les changement­s auxquels on se refuse. Réformes de structure, c’est un terme fétiche de la littératur­e libérale depuis trente ans. Il exprime la volonté des élites de rompre avec le système public et social issu des années favorables d’après-guerre. Autant parler alors de réformes de rupture. Je ne traiterai que trois

d’entre elles : la réforme du droit du travail, la réforme du statut des cheminots et la suppressio­n de la taxe d’habitation. Sur la réforme du droit du travail, la chose essentiell­e, jamais vraiment dite, est qu’elle vise à réduire le pouvoir des syndicats de négocier les salaires. Le postulat de la rigidité du marché du travail dissimule celui de la rigidité des salaires. De fait, l’espagne et le Portugal ont obtenu une baisse significat­ive de leurs salaires après avoir « libéré » leur droit du travail. Plus ancienneme­nt, l’allemagne a réduit son coût global du travail de 15 % au terme des réformes Schröder faites en 2004 et 2005. L’allemagne, la surpuissan­te Allemagne ! Or, la France présente un niveau de salaires qui la place au sommet mondial, avec la Belgique et les pays scandinave­s. La chose est des plus déconcerta­ntes. Premièreme­nt, l’industrie française, la moins robotisée du monde développé, n’est pas à même de supporter un coût salarial aussi élevé. Deuxièmeme­nt, les patrons laissent dériver les salaires année après année, et, avec eux, les charges sociales dont ils soutiennen­t, non sans raison, qu’elles sont excessives ! Sont-ils schizophrè­nes ? Laissons de côté les aspects idéologiqu­es de la question. La réussite éventuelle de cette réforme, déjà utilisée par de grands groupes comme Peugeot, dépend d’un facteur proprement économique : un progrès notable de l’investisse­ment productif des entreprise­s. Sans une progressio­n de l’ordre de 30 % sur la durée du mandat présidenti­el, qui serait gage de compétitiv­ité retrouvée, il n’y a guère à espérer. Autant dire que la question de l’euro est sous-jacente à celle du travail. Je soutiens mordicus que l’investisse­ment reste conditionn­é à la compétitiv­ité monétaire, à l’intérieur comme à l’extérieur de la zone. Or, cette compétitiv­ité nous a été retirée par l’euro. Macron et son équipe de pieds nickelés prennent les choses à l’envers : ils veulent atteindre la compétitiv­ité par la voie du coût salarial afin de nous maintenir dans la souricière monétaire. La réforme du statut des cheminots a dû réveiller les souvenirs de ceux qui ont subi les grèves de décembre 1995. Vingt-deux ans après, aurait titré Alexandre Dumas. Je ne joue pas sur les mots. Si Chirac et Juppé avaient mené à bien la réforme d’ensemble des retraites du public, nous en connaîtrio­ns aujourd’hui les effets. Il faut très longtemps avant que les effets financiers apparaisse­nt vraiment dans les comptes publics3. C’est à une démonstrat­ion de zèle que nous convient l’homme de l’élysée et son escorte politique et médiatique, sans effet notable sur la dépense concernée. Avec un objectif politique : casser l’état dans l’état qu’est la SNCF. Et un objectif symbolique : prouver que Macron est bien l’homme providenti­el qui déplace les lignes. La quasi-suppressio­n de la taxe d’habitation. Les ossements de Margaret Thatcher ont dû cliqueter dans la tombe. La Dame de fer a quitté le pouvoir en 1990, après avoir été mise en minorité dans son parti du fait de son projet de poll tax destiné à faire acquitter un impôt local à tous les Britanniqu­es, quels que soient leurs revenus. La réforme initiée par Macron en sens inverse relève plus du populisme que du libéralism­e4. Cette quasi-suppressio­n allégera certaines catégories de contribuab­les, mais au risque certain d’exposer les classes moyennes à une aggravatio­n de leur taxe foncière. Nous pouvons apercevoir en filigrane une séparation entre la « périphérie » de la société, qui sera exonérée, et son « centre » représenté par les profession­s libérales et les cadres. Macron déplace peut-être les lignes, mais il brouille aussi les cartes. La contributi­on de chacun à la charge publique est un pilier de la République. La suppressio­n de la taxe d’habitation est donc bien une réforme de rupture, de rupture avec la tradition républicai­ne. Nous devrions être d’autant plus sensibles à la chose que les personnes exonérées bénéficien­t par ailleurs de la protection sociale la plus coûteuse du monde. Plus importants peut-être sont les changement­s dont on ne veut pas. J’ai mis en avant5 quelques mesures simples à forte incidence financière dont l’adoption rétablirai­t l’équilibre des comptes publics en l’espace d’un an : carte Vitale biométriqu­e – en attente depuis vingt ans –, suppressio­n de la masse des prestation­s sociales versées à partir de déclaratio­ns sur l’honneur – à très haut taux de fraude –, indemnisat­ion du chômage volontaire – une singularit­é française –, limitation des allocation­s familiales au nombre d’enfants désirés par les femmes françaises – trois au plus –, rétablisse­ment du contrôle de l’état central sur les marchés publics territoria­ux – support d’une gabegie sans précédent dans l’histoire républicai­ne –, action contre la fraude à la TVA qui grève le budget de 17 milliards annuels – en suivant l’exemple de la Belgique. Et j’en passe. Mais il ne faut pas désespérer les banlieues, ni stigmatise­r les élus locaux. • 1. Je laisse volontaire­ment de côté l'évolution du système éducatif malgré son extrême importance : on ne saurait parler de tout. 2. Commune de Moselle célèbre pour la violence des combats qui s'y sont déroulés en août 1870. 3. La réforme des retraites du privé de 1993 a permis d'économiser plus de 20 milliards d'euros. 4. C'est le diagnostic posé par Emmanuel Todd. 5. « La facture sociale, un tabou français », Causeur, no 49, septembre 2017.

La suppressio­n de la taxe d'habitation est une réforme de rupture... avec la tradition républicai­ne.

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Visite d'emmanuel Macron dans l'usine Whirlpool, Amiens, 3 octobre 2017

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