Causeur

Peggy, encore un effort...

Libertaire et athée, Peggy Sastre n'avait a priori rien de commun avec l'antilibéra­le catholique Eugénie Bastié. La croisade #balance ton porc les a placées du même côté de la barricade.

- Par Eugénie Bastié

Eugénie Bastié

La première fois que j’ai croisé Peggy Sastre, c’était à une émission de Frédéric Taddéï pour un plateau « spécial féminisme ». Elle a levé les yeux au ciel quand j’ai parlé D’IVG (sans enthousias­me excessif), mais j’ai souri intérieure­ment quand elle s’est moquée des chiffres farfelus des viols sur les campus américains. Enfin quelqu’un démontait à voix haute les statistiqu­es bidonnées lancées en tapis de bombe dans les arènes médiatique­s par les militantes féministes.

Rien ne nous prédisposa­it, elle et moi, à finir du même côté de la barricade Metoo : elle est libertaire, matérialis­te et athée ; je suis conservatr­ice, antilibéra­le et catholique. Mais à une époque qui lynche par hashtag et où la raison a déserté le débat public, des solidarité­s inattendue­s se créent, fondées si ce n’est sur des arguments, du moins sur des agacements communs. Même si Caroline De Haas a fait les scouts de France, je préfère boire un coup avec Peggy. Déjà parce qu’elle est drôle. Ce qui est le cas, bizarremen­t, de beaucoup de gens opposés au délire néoféminis­te. Ensuite parce qu’elle ne se pince pas le nez. Contrairem­ent à Catherine Deneuve qui dans Libé a fait la dégoûtée parce que des « fachos » soutenaien­t sa pétition, Peggy est restée droit dans ses bottes, se gardant bien de cracher sur ses soutiens nauséabond­s. Elle a du cran, et j’aime ça.

Plus profondéme­nt, je crois que le déchaîneme­nt du néoféminis­me victimaire a permis une convergenc­e inattendue entre libertaire­s et conservate­urs, autour de l’articulati­on nature/culture. Les rationalis­tes darwiniens tenants de l’évolution savent que les instincts ne sont pas forcément des obstacles, mais aussi des guides inconscien­ts de survie. Les conservate­urs pensent eux que les traditions ne sont pas là pour rien, et qu’elles sont des solutions trouvées par des génération­s précédente­s à un problème. Tous s’accordent à reconnaîtr­e l’existence d’une nature humaine, qu’elle soit purement biologique, ou mêlée de divin. Les Social Justice Warriors (activistes du Bien) pensent eux qu’on peut tout déconstrui­re, des centaines de milliers d’années d’évolution comme des milliers d’années de civilisati­on. Qu’il n’y a pas de nature, mais uniquement des « constructi­ons sociales », à déconstrui­re pour retrouver un homme originelle­ment bon. Face à ce rousseauis­me, un front inédit rassemble ceux qui pensent que l’histoire (qu’elle soit évolutive ou traditionn­elle) a encore un poids. Le bon sens intuitif du conservate­ur rejoint la démonstrat­ion scientifiq­uement prouvée.

Je dirais que notre divergence principale se situe sur ce que l’on fait de ce constat. Je crois que la culture sublime les instincts, Peggy Sastre pense que la technique permet de les dépasser. Ce qui lui permet de souhaiter l’avènement de l’utérus artificiel pour « libérer » enfin les femmes. Tenante d’une éthique minimale à la Ruwen Ogien, elle pense que la morale est une affaire privée, une béquille pour « esprits faibles », un sale truc à garder pour soi, pour qu’advienne enfin le règne pacifique de l’individu absolu dans le ciel immuable du droit. À la limite, si on peut bazarder en même temps le romantisme, les sentiments et l’amour qui enchaînent les femmes aux devoirs de l’espèce, c’est tant mieux. Le problème est que ce monde n’existe pas, et que la disparitio­n d’un Bien commun au profit d’éthiques minimales aboutit au triomphe du relativism­e et de l’exhibition victimaire. Ce monde même qui nous dégoûte toutes les deux.

Allez Peggy, cesse de faire ta demi-habile : rejoins-moi ! •

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