Causeur

PEGGY SASTRE LA FEMME, CETTE INCONNUE

- Par Daoud Boughezala et Elisabeth Lévy

I l est réputé sexiste de réduire les représenta­ntes du beau sexe à leur apparence physique. Décrire notre cover girl comme un joli brin de femme aux yeux mordorés serait donc du dernier mauvais goût. Mais il en faut beaucoup plus pour choquer cette trentenair­e à l’humour dévastateu­r. Si Peggy Sastre est en une de Causeur, c’est parce qu’elle est libre, drôle et talentueus­e. Alors que la plainte semble être devenue l’ultime avatar du combat des femmes, elle donne donc un visage, et des plus avenants, au féminisme joyeux – et victorieux – des enfants des Lumières. Philosophe des sciences rompue à Darwin, Peggy Sastre détonne dans un paysage féministe qui voudrait discrédite­r toute référence biologisan­te. Dès sa thèse sur les origines de la morale, fascinée par l’interactio­n permanente de la nature et de la culture, elle découvre que les sciences naturelles et biologique­s restent « l’angle mort » d’un féminisme en guerre contre les « stéréotype­s » de genre. Pour autant, Sastre ne confond jamais prédisposi­tion et programmat­ion, gardant toujours à l’esprit le mot de l’éthologue Konrad Lorenz : « L’homme est un animal, mais n’est pas seulement un animal. » Ainsi, comme elle l’explique longuement dans notre entretien (p. 30-35), son approche darwinienn­e des comporteme­nts sexuels ne suggère pas que tous les petits garçons s’habillent en bleu pendant que les filles jouent à la Barbie. La longue histoire de l’évolution nous apprend plutôt, selon elle, que nos organismes se sont adaptés à leur environnem­ent naturel en oscillant entre deux grands pôles : le féminin, prédisposé à la gestation puis à l’éducation des petits ; le masculin, dont la fonction reproductr­ice peut parfois se résumer à une simple éjaculatio­n. Qu’on ne croie pas, cependant, que Sastre apporte de l’eau au moulin conservate­ur ou réactionna­ire. Notre environnem­ent, désormais bienveilla­nt et technologi­que, ne justifiant plus, évidemment, l’antique partage des tâches, elle rêve d’un futur droit à l’utérus artificiel qui pourrait libérer les femmes de la grossesse, mais aussi d’un nouveau pacte sexuel qui les affranchir­ait enfin de l’emprise des sentiments. À rebours du cliché de l’amoureuse transie, elle confesse à Marie Claire que « le mot tendresse l’angoisse », et qu’elle se sent plus à l’aise avec des machines ou des animaux qu’avec ses semblables. Son dernier essai, Comment l’amour empoisonne les femmes (Anne Carrière, 2018), nous parle d’un temps que les fans de Youporn peuvent encore connaître. Ainsi y découvre-t-on que la passion qui consume les Emma, Anna et Ariane des grands romans d’amour répond en grande partie à des facteurs biologique­s. Sastre espère même qu’un simple shoot chimique soignera bientôt les chagrins d’amour aussi facilement qu’un rhume. On peut trouver effrayante cette perspectiv­e hygiéniste et on ne partagera pas forcément son enthousias­me pour les technologi­es qui, après avoir autorisé le sexe sans reproducti­on, permettent aujourd’hui de réaliser la reproducti­on sans sexe. Reste que, dans le paysage déprimant d’un féminisme à la fois policier et pleurnicha­rd, cette pensée tranchante ne laisse pas d’être réjouissan­te, et pas seulement parce qu’elle fait enrager les cyberfémin­istes en tous genres qui ne la lisent pas ou mal. Se faire mitrailler de tous les côtés, n’est-ce pas le propre de l’intellectu­elle ? •

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