No fast-food
Par Françoise d'origny
C’est une fièvre récurrente qui, chaque année, fait s’indigner les bonnes âmes contre la chasse et, plus encore, contre la chasse à courre. Ce virus saisonnier surgit généralement aux frontières fragiles qui départagent l’espace urbain, toujours exponentiel, de celui des derniers territoires de la vie primitive : les forêts. Il se manifeste souvent lorsqu’un animal pourchassé par des chiens franchit l’enclos d’un jardinet de banlieue sis en bordure de bois. Le propriétaire du terrain qui, la veille encore, aurait abattu sans état d’âme, s’il l’avait pu, un sanglier venu retourner son potager ou un renard venu rôder devant son poulailler, se récrie avec toute la bien-pensance possible. Et pourtant, est-il innocent de tout crime ? Est-il végétarien ? Le Canigou qu’il donne à son toutou est-il si vertueux ? Le steak si juteux qu’il savoure dans son assiette n’est-il pas le produit d’un assassinat perpétré sur une pauvre bête sans défense, menée à l’abattoir sans avoir eu la possibilité de courir, de fuir pour échapper peut-être, après une vie de stabulation, à l’exécution pour laquelle elle avait été programmée ? Sur les alpages, ne met-on pas des moutons sous le nez des loups en exigeant de ceux-ci qu’ils n’aient pas envie d’en croquer quelques-uns sous peine d’être éliminés ? La chasse à courre, que j’ai tant aimée, permet à l’homme dont la vue, l’ouïe et l’odorat ne peuvent rivaliser avec ceux d’un chat de gouttière, de voir ce qu’il ne saurait voir par lui-même, d’un règne qui n’est pas le sien. Il peut ainsi observer les menées mystérieuses qui se trament au coeur des forêts et les accompagner jusqu’à leur finalité. Ce sont les chiens qui chassent, l’homme, le veneur, les suit. Si les chiens ne veulent pas chasser, si la « voie » est mauvaise, il ne reste qu’à les ramener au chenil. La vènerie est la théâtralisation de la vieille affaire, celle des carnassiers contre les herbivores. Et nous, les humains, sommes omnivores. Devrions-nous prêter l’oreille au cri sourd de la salade qu’on arrache, à celui du futur poussin que l’on cuit dans son oeuf ? En ce bas monde, c’est la faim qui mène la danse. On n’en sortira pas… sauf à rompre cette maudite chaîne alimentaire apparue sur Terre en même temps que la vie organique. Vaste programme ! •