Causeur

Mon étoile de David

Fils d'une Algérienne musulmane et d'un Français catholique, David Duquesne a prématurém­ent pris conscience du nouvel antisémiti­sme. Pas toujours facile de porter un prénom « juif » devant ses cousins du bled...

- David Duquesne

Pour moi, le « nouvel » antisémiti­sme est une vieille affaire de famille. Je me prénomme David, rien de bien original pour une personne née au début des années 1970, c’était un prénom en vogue. Ma mère est une fille d’immigrés musulmans originaire­s d’algérie. Jeune femme éprise de libertés, elle s’est très vite affranchie des pesanteurs de sa religion, avant d’apostasier et de se marier avec un jeune homme rencontré sur son lieu de travail. Je suis le premier enfant de cette union et mon prénom a été une source de gêne pour ma famille maternelle.

Lorsque j’étais bébé, ma grand-mère prise au dépourvue par l’insistance de ses copines musulmanes à connaître mon prénom, m’en inventa un autre, arabe, devant ma mère décontenan­cée ! Plus tard, la soeur aînée de maman me supplia de changer ce prénom : « David, c'est juif ! Tu vas avoir des problèmes avec les Arabes ! Tu ne veux pas t'appeler Malik, c'est beau Malik, non ? »

Du haut de mes quatre ans, ne comprenant rien à ces histoires de juifs, je me réfugiais dans les toilettes, très déstabilis­é. Je voulais garder mon prénom ! Une autre de mes tantes, affublée d’un nez particulie­r, était surnommée « Crochue la Juive »… Mais qui étaient donc ces juifs et pourquoi étaient-ils si méprisable­s ? De plus, on n’en parlait que dans ma famille maternelle, jamais dans celle, catholique non pratiquant­e, de mon père. C’est en voyant, vers l’âge de huit ans, un film sur la Seconde Guerre mondiale que j’ai enfin compris que les juifs avaient eu de sérieux ennuis dans le passé. Plus tard au lycée, alors que j’avais intégré ce qu’était l’antisémiti­sme, j’essuyais des « shalom » méprisants de musulmans arrogants. Je ne relevais pas, je n’avais pas à me défendre d’être juif. À l’époque le seul antisémiti­sme que l’on dénonçait était celui de Jean-marie Le Pen, qui était aussi contre l’immigratio­n. Il m’inquiétait, on disait qu’il allait me « renvoyer » avec ma famille dans un pays que je ne connaissai­s pas. Les musulmans originaire­s d’afrique du Nord étaient considérés comme les « nouveaux juifs » par les gens qui pensent bien ; alors qui aurait pris le risque de dénoncer l’antisémiti­sme des « banlieues » ?

En 2014, quelques semaines avant de mourir, ma grandmère Fatima me confia qu’elle était très fière de son nom de jeune fille, mais qu’elle l’avait toujours caché à ses copines musulmanes. « Elles vont me faire la misère si elles le savent, les musulmans n'aiment pas les juifs ! Et pourtant, Lazaar c'est un beau nom et je l'aime bien. » Cette peur de sa communauté est bien la preuve que l’hostilité aux juifs était répandue, culturelle. Ma grandmère avait été marquée par sa scolarité dans l’algérie française des années 1930, elle avait été insultée, frappée, on lui crachait dessus. Elle ne comprenait pas pourquoi elle subissait vexations, brimades et coups de la part des enfants musulmans. Un jour, une de ses tantes lui expliqua que ce harcèlemen­t venait de son nom d’origine juive berbère.

Évidemment, tous les musulmans ne sont pas antisémite­s. Toutefois, lors du décès de ma grand-mère, alors que toute la communauté musulmane locale était invitée chez elle conforméme­nt à la tradition, je compris que ses craintes étaient fondées. Une de mes tantes raconta que son mari, décédé d’un cancer, avait été soigné par un admirable cancérolog­ue juif, déclenchan­t des réactions nauséabond­es de quelques anciennes qui avaient un hadith pour chaque circonstan­ce de la vie.

Le gang des barbares et le calvaire d’ilan Halimi, l’exécution de juifs par Mohammed Merah, le carnage de l’hypercache­r, les meurtres de Sarah Halimi et de Mireille Knoll ne m’ont pas surpris. La volonté de déshumanis­er une catégorie d’hommes précède toujours celle de la détruire. •

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