Denis Maillard, expert en relations sociales « La civilité l'emportera sur la bigoterie »
Causeur. Vous publiez chez Fayard une enquête intitulée Quand la religion s’invite dans l’entreprise. On repose le livre avec le sentiment que les syndicats sont les grands absents du dossier.
Denis Maillard. Tel est le cas, mais les syndicats, aujourd’hui, sont absents de tant de dossiers ! La montée du fait religieux dans la sphère du travail – l’islam aujourd’hui, probablement des formes de néoprotestantisme africain demain – est seulement une des nombreuses réalités qui échappent aux appareils confédéraux.
À vous lire, on se dit que, concernant l'islam, ils peuvent difficilement plaider la surprise.
Voilà trente-cinq ans que la question a émergé. C’était en 1983, au moment des grandes grèves des OS immigrés, dans l’industrie automobile. À l’époque, la CGT et FO ont soutenu des revendications religieuses, salles de prières et aménagements d’horaire pendant le ramadan.
Pourquoi ?
Par intérêt bien compris. Ce soutien a aidé la CGT à prendre pied chez Peugeot et Simca, où le patronat lui menait la vie dure. Force ouvrière a surenchéri [au point de se faire surnommer parfois Force orientale, NDLR]. C’est de cette époque que datent les doubles calendriers syndicaux de FO, grégorien et hégirien. Ils n’ont suscité la polémique que ces dernières années, ce que les anciens du syndicat comprennent mal.
Le monde a changé, la pression de l'islam s'est accrue dans les entreprises.
Comment pourrait-il en être autrement ? Voilà des années que les entreprises répètent aux salariés « venez comme vous êtes ». Elles sont prises au mot par des musulmans rigoristes. Le livreur refuse de décharger des caisses d’alcool, la réceptionniste veut garder son voile, le technicien sous-traitant d’un opérateur télécom refuse de parler au client parce que c’est une cliente… Il ne faut pas compter sur les syndicats pour les ramener à la raison. La question religieuse est embarrassante et leurs troupes se sont tellement étiolées qu’ils n’ont plus la force de l’affronter. Les réformes de 2008 [sur les seuils à atteindre aux élections professionnelles pour être représentatif, NDLR] ont fragilisé des centaines de sections. Combien ont toléré une forme d’entrisme religieux dans l’espoir d’assurer leur survie, difficile à dire. Il n’y a pas eu d’offensive islamiste planifiée ; c’est un mouvement diffus, mais réel.
Cette complaisance est-elle révolue ?
Il y a eu une prise de conscience. Les syndicats et les DRH semblent plus vigilants, mais avec une conséquence inattendue : l’évitement. Des musulmans choisissent des métiers compatibles avec leur pratique religieuse. Gardien d’immeuble, par exemple. Vous pouvez prier quand bon vous semble. Ou chauffeur. Trouver un VTC pendant le ramadan au moment de la rupture du jeûne n’est pas toujours facile.
Et pour l'avenir ?
Je suis assez optimiste à long terme. La civilité l’emportera sur la bigoterie en entreprise, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous sommes partis pour des années. •