Daech : la Turquie passe aux aveux
En lice pour un deuxième mandat présidentiel fin juin, Recep Tayyip Erdogan a du fil à retordre avec les médias français. Il faut dire que ces derniers s’acharnent à ouvrir les dossiers qui fâchent, à commencer par les accusations de livraisons d’armes des services de renseignement turcs (MIT) à l’état islamique en Syrie.
L’hiver dernier, durant la conférence de presse couronnant sa visite à Paris, Erdogan s’est fait apostropher par un reporter d’« Envoyé spécial » : « Sept ans après le début du conflit en Syrie, regrettez-vous d'avoir fourni autant d'armes aux groupes combattants islamistes et d'avoir laissé passer autant de djihadistes en route vers la Syrie ?» Contenant sa fureur, le maître d’ankara serre les dents : « Tu parles exactement comme un guléniste, avec les mêmes arguments, pas comme un journaliste ! Ceux qui ont fait cette opération, ce sont les procureurs liés à Gülen. Aujourd'hui, ils sont en prison. » On admirera la manoeuvre dilatoire. Étape 1 : discréditer son adversaire en l’assimilant aux membres de la confrérie Gülen, ex-alliés d’erdogan devenus ses bêtes noires. Étape 2 : avouer à demi-mot en rejetant toute responsabilité sur lesdits gulénistes.
Rebelote ce printemps, avec la diffusion du documentaire d’« Envoyé spécial ». Le même journaliste (qu’on imagine persona non grata au Club Med de Bodrum !) interroge l’ambassadeur de Turquie à Paris, photos compromettantes à l’appui. Ancien chef du MIT, Ismaïl Hakki Musa oppose d’abord un démenti catégorique aux accusations de livraisons d’armes à Daech, avant de finir par lâcher : « Dans cette affaire, il y a eu plusieurs services de renseignement. Et comme par hasard tout le monde parle du MIT. Qui vous dit qu'un autre service de renseignement n'était pas impliqué ? Je ne vous le dirai pas parce que cela peut créer des problèmes sérieux au niveau diplomatique. » Une crainte que ne partage pas Erdogan, mis à l’honneur fin mai en une du Point sous le titre « Le dictateur ». Cette courageuse couverture (la presse ne vend hélas pas un clou avec la politique étrangère !) n’ayant pas eu l’heur de plaire au despote turc, plusieurs kiosquiers ont reçu des menaces. Et ça marche : sous la pression des réseaux pro-erdogan, des points de vente de la Drôme et du Vaucluse ont retiré le numéro de leur présentoir. Encore un coup tordu des gulénistes ! •