Causeur

LA BATTLE DE BERLIN

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !

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Jeudi 12 avril, ma consoeur Hilda m’appelle affolée de Berlin. Scandale au prix Echo, copie allemande de nos Victoires de la musique. Le rockeur Andreas Frege, qui se fait appeler Campino, vient d’agonir en direct ses potes rappeurs Felix Blume et Farid Hamed El Abdellaoui, qui se font appeler Kollegah et Farid Bang, lauréats dans la catégorie hip-hop et auteurs selon Campino de raps sexistes, homophobes, antisémite­s und so weiter. Ce n’est qu’un début. Le lendemain, une autre vedette et un producteur rendent leur Echo Preis. Dix jours passent, Daniel Barenboim, patron d’un opéra et d’un orchestre à Berlin, se réveille : lui aussi renvoie ses sept Echo passés pour ne rien avoir en commun avec des artistes « ouvertemen­t antisémite­s, misogynes, homophobes et d'une façon générale méprisants pour la dignité humaine ». Autorité des autorités, Barenboim donne le la. Deux heures plus tard c’est notre Renaud Capuçon qui rend ses Echo, suivi d’autres musiciens jusqu’à ce que le bureau annonce la suppressio­n pure et simple de l’echo Preis.

Plus chatouille­ux que nous, les sujets de Mme Merkel. Traqué par les associatio­ns féministes après sa délicieuse Saint-valentin (« Mais ferme ta gueule ou tu vas t' faire Marie-trintignie­r ») et son inoubliabl­e Sale pute (« J'veux que tu crèves lentement j'veux que tu tombes enceinte et que tu perdes l'enfant »), deux fois poursuivi, deux fois relaxé, le rappeur normand Aurélien Cotentin, qui se fait appeler Orelsan, a failli se noyer sous les Victoires 2018. Trois il en a eu, le même soir.

Sur la Toile, les comparateu­rs qui comparent disent que ça n’a rien à voir, la rage du macho déprimé et le message antisémite d’une botte de radicalisé­s. Mouais. Ce qu’ont dit les deux lauréats de Berlin, c’est

« Nous allons faire un autre Holocauste / Amenezvous avec un cocktail Molotov », rime pauvre. Et aussi un truc sur les juifs riches. En voilà une surprise ! Le gangsta rap judéophobe, whitophobe, flicophobe, homophobe, allophobe, sûr que ça vient de sortir. On a attendu l’echo Preis 2018 pour décorer ces artistes en extase devant leurs Nike, leurs Mercedes et leur nombril. Eh oh, les filles (et les gars), ça fait genre trente ans que Schoolly D et Snoop Dogg reçoivent des médailles !

Le problème, s’il y en a, c’est pas eux. Que les rappeux du bulbe courent comme des pitbulls après le buzz en chantant « Y’a d’la Shoah, du soleil pardessus l’étoile », qu’est-ce qu’on peut y faire ? Ils le pensent, ils le disent. Les centaines de milliers d’albums vendus, les millions de vues sur Youtube, les plateaux télé, les trophées en direct, c’est pas eux. C’est nous. Personne ne nous oblige.

La différence entre les Echo klassik et les Echo tout court ? La même qu’entre les Victoires classiques et les Victoires tout court. Les classiques votent pour la chose, les tout court votent pour le chiffre. Si Kollegah et Farid Bang ont reçu leur Echo 2018, c’est parce qu’ils sont premiers en fréquentat­ion. C’est parce qu’ils ont fait plus de buzz, donc plus de clics, donc plus de chiffre que les autres. Et si l’echo Preis a annoncé son autodestru­ction, c’est parce que le scandale du 12 avril menaçait le chiffre d’affaires 2019. Ne craignez rien, il renaîtra sous un autre nom. Le gangsta n’est pas dingue. Au contraire, très rationnel il est. Baver du « riche banquier juif » (Kollegah dans l’album Apocalypse) rapporte un max de tunes. Merci nous. •

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