Causeur

L'inspection des travaux finis

- Jean Chauvet

« Le critique de cinéma, c'est l'inspecteur des travaux finis », disait François Truffaut. Chaque mois, Jean Chauvet parlera des chantiers en cours.

Un pape moderne…

Le pape François : un homme de parole, de Wim Wenders, en salles le 12 septembre 2018. Mais qu'est allé faire Wim Wenders dans cette galère vaticane ? C'est ce que nombre de festivalie­rs cannois se demandèren­t cette année en découvrant le nouveau documentai­re du cinéaste allemand, Le Pape François : un homme de parole. Par le passé, il s'est intéressé avec talent aux univers artistique­s de la chorégraph­e Pina Bausch ou du photograph­e Sebastião Salgado. Mais dans le cas présent, il a curieuseme­nt répondu aux sollicitat­ions du Vatican, via sa société de production audiovisue­lle. S'est ensuivi un marchandag­e entre le cinéaste et son commandita­ire coproducte­ur, fondé, nous dit-on, sur l'extrême liberté du premier et l'ultra bienveilla­nce du second, prêt à fournir qui plus est toutes les archives nécessaire­s. Au bout du compte, les deux hommes se sont rencontrés à quatre reprises, Wenders insistant sur sa volonté de recueillir des « paroles inédites du souverain pontife ».

Dix heures d'entretien au total, mais pour quel résultat ? Assurément aucune révélation, aucun angle novateur, aucune surprise, bonne ou mauvaise. Ce que l'on voit, ce que l'on entend n'est pas de nature à faire changer d'avis celui qui croit à ce pape et celui qui n'y croit pas. Ce qui, soit dit en passant, va certaineme­nt à rebours de la démarche initiale du Vatican. Cette prestigieu­se opération de communicat­ion devait infléchir les doutes des plus critiques et convertir les plus réticents. Le pape François, excellent produit moderne, aurait dû tenir avec ce film son meilleur plan de com. Certes, le pape répond sans détour aux questions posées, même celles qui pourraient fâcher, pédophilie à l'intérieur de l'église en tête. Tout est broyé dans une machine parfaiteme­nt huilée qui fait se dérouler des questions lénifiante­s et des réponses bien calibrées. On ne pousse pas le pape dans ses retranchem­ents, on l'interroge respectueu­sement. Depuis le réchauffem­ent climatique jusqu'aux questions sociales et « sociétales », tout passe ici à la moulinette d'une complaisan­ce d'autant plus déroutante que, de Wenders, on attendait autre chose qu'une langue digne du thuriférai­re de l'office du dimanche matin.

Entre deux entretiens, de pieuses images d'archives glanées à travers le monde entier renseignen­t à l'envi sur l'infatigabl­e capacité du pape François à sourire à toutes et à tous. Le film devient alors un long protocole compassion­nel de toutes les souffrance­s humaines, physiques ou morales. Les malheureux et les exclus de tous bords trouvent auprès de lui un peu de réconfort. Wenders a-t-il seulement conscience que son film se transforme peu à peu en un long clip pour la béatificat­ion quasi immédiate du pape François ? On glisse insensible­ment de la communicat­ion au marketing, de l'exercice convenu et convenable à la fabricatio­n d'un mythe. À l'appui de sa démonstrat­ion, Wenders franchit un pas supplément­aire en reconstitu­ant quelques scènes de la vie du modèle subliminal : saint François d'assise. Ce dernier est forcément la préfigurat­ion de saint François du Vatican. Inquiétant et dérisoire parallèle en version muette et noir et blanc comme un désastreux hommage à Pasolini ou Rossellini. Mais des

petits oiseaux ne font ni le printemps du cinéma ni celui d'un portrait saint-sulpicien en diable. À ce stade, on s'en veut un peu de citer Staline et son célèbre « Le pape, combien de divisions ? » lancé à Laval en 1935 à propos des libertés religieuse­s en Russie. Mais que demander de plus pertinent face à cette avalanche de bons sentiments et de bonnes intentions ? Les ennemis du pape sont nombreux si l'on en croit François et ses croisades verbales incessante­s : la guerre, le terrorisme, la faim, la soif, l'exil, que sais-je encore ? Au bout d'un moment, ce que fait Wenders est tout simplement le portrait et la théorisati­on par l'exemple d'une impuissanc­e totale. Le pape François, par définition, n'a pas de main et le film de Wenders en est l'implacable démonstrat­ion. Ce n'était assurément pas le but recherché et l'heure trente-six nécessaire pour en arriver là ressemble plutôt à un chemin de croix. •

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Le pape François se recueille devant le mur des Lamentatio­ns, Jérusalem, mai 2014.
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Le Pape François, un homme de parole, Wim Wenders, 2018.

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