Causeur

LUC, MON FRÈRE LUC

- Par Jérôme Leroy

Bien sûr que ça aurait pu marcher. Mais tu auras beau dire, ça n’a pas marché. » C'était dans un bouchon de sa connaissan­ce, un soir de mars 2015. Luc Rosenzweig, sachant que j'avais eu le prix Quais du polar de Lyon, m'avait gentiment invité à dîner dans sa bonne ville. Il devait venir également le lendemain, accompagné de son épouse, pour la remise du prix sous les ors de l'hôtel de ville et dans la foulée écrire une brève confratern­elle pour Causeur. « Bien sûr que ça aurait pu marcher. Mais tu auras beau dire, ça n’a pas marché. » On parlait du communisme, évidemment. Dans les conversati­ons que nous avons pu avoir en tête-à-tête, on en parlait forcément. Avoir été communiste et ne plus l'être, comme lui, c'était tout de même comme une grande histoire d'amour déçu. On a chacun ses façons de s'en remettre, la rancoeur, la mélancolie, la colère du cocu ou l'indulgence pour une folle jeunesse, mais on n'oublie jamais. « Bien sûr que ça aurait pu marcher. Mais tu as beau dire, ça n’a pas marché. » Autour du pot de coteauxdu-lyonnais, je crois qu'il était plus étonné que je sois encore communiste que moi qu'il ne le soit plus. Je comprenais très bien ses raisons. On m'a souvent dit qu'il avait la dent dure sur cette période. En ce qui me concerne, je n'ai jamais trouvé chez lui la moindre trace de cet anticommun­isme rabique qui est la marque d'un certain nombre d'« ex ». Il est vrai que je ne suis pas un thorézien hardcore et qu'il avait assez vite compris, car il évaluait les êtres avec autant de rapidité que de précision, que par ailleurs je considérai­s le sionisme comme une utopie concrète assez enthousias­mante, au moins dans ses commenceme­nts. C'est ce soir-là, comme me le confirme une série d'échanges de mails dans les jours qui ont suivi, qu'est né un projet sans cesse remis à plus tard et dont on a reparlé la dernière fois où je l'ai vu, début juillet, pour le pot de vacances de Causeur : un roman à quatre mains, URSF, pour Union des république­s socialiste­s françaises. Le 30 mars 2015, Luc résumait ainsi notre uchronie où nous aurions pu multiplier et confronter sur le mode romanesque nos désillusio­ns, nos doutes, nos certitudes. En nous amusant, bien sûr, car je n'ai aucun problème à m'entendre avec un néoconserv­ateur s'il a de l'humour. Et Dieu sait que Luc en avait, qui m'écrivait : « Ce serait donc un roman avec deux personnage­s principaux dont l’histoire croisée court de 1939 à 1989, soit un demisiècle tout rond. Deux garçons se rencontren­t en prépa à Henri IV. Manif à l’étoile le 11 novembre 1940, adhésion aux JC, résistance universita­ire, Libération, entrent tous deux en 1945 permanents du Parti dans les cabinets de ministres communiste­s. Mais le Parti leur ordonne de reprendre leurs études, le khâgneux passe l’agrég de philo et le taupin sort major de sa promo de l’école des mines. Entre-temps, ils auront bien fait la fête ensemble, échangé des petites amies, discuté à perte de nuits et de vues sur l’avenir radieux. J’abrège. Prise de pouvoir du PC en 1947, ils se trouvent tous deux propulsés à des postes importants (responsabl­e sud-est de l’agence TASS française pour l’un, ponte des Charbonnag­es de France dans le Nord-pasde-calais pour l’autre). Petit à petit, le khâgneux se met à douter, influencé par le dandysme de Roger Vailland, devenu son ami. Le taupin, lui, reste droit dans la ligne, mais leur amitié demeure en dépit des péripéties liées aux événements nationaux et internatio­naux. Tour à tour, ils se protégeron­t (entre 1965 et 1968, le printemps français écartera les “staliniens”, et ensuite les communiste­s réformateu­rs seront réprimés après la reprise en main par Marchais, avec l’aide de Brejnev...). Après la chute du communisme et la fin de L’URSS en 1991, ils fêtent ensemble leur 80e anniversai­re... » On n'était pas tout à fait d'accord sur la fin. Mais, aujourd'hui, je regrette qu'on n'ait pas tenté le coup. D'abord, il n'y aurait pas eu de plus belle preuve d'amitié et puis, « bien sûr que ça aurait pu marcher. Mais tu auras beau dire, ça n’a pas marché. »

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Luc Rosenzweig en 1968.

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