Causeur

L'éditorial d'élisabeth Lévy

- Salauds de peuples !

« National-populisme : la contagion mondiale » : la ficelle, tricotée à la une de Libération des 27-28 octobre, est un peu grosse. En clair, de Bolsonaro à Trump, de Marine Le Pen à Salvini, c’est le même vent mauvais qui souffle et qui voit, selon Laurent Joffrin, les peuples se dresser contre les démocratie­s. Cet embrigadem­ent, sous l’étendard populiste, de mouvements politiques très différents les uns des autres, signifie que tout Européen inquiet de flux migratoire­s qu’on ne sait plus intégrer est suspect de racisme, d’homophobie, voire de fantasme de dictature militaire. Le patron de Libé décrit ce qu’il appelle une épidémie : « Il y a un peu partout ces partis xénophobes, homophobes, décliniste­s, climatosce­ptiques pour la plupart, expéditifs en matière de sécurité, rétrograde­s en matière de moeurs, qui remplissen­t les urnes et vident les têtes au profit d’affects sommaires, de mobilisati­ons simplistes, une sorte de marée brunâtre qui s’infiltre au sein de régimes jusque-là officielle­ment dédiés au progrès et à la liberté. » Et tant pis pour ceux qui ne considèren­t pas le grand melting-pot mondial ou la reproducti­on sans sexualité comme des progrès. Les bourriques. On peut certes observer de Rio de Janeiro à Vierzon la même défiance à l’égard des élites, mais comme fondement d’une internatio­nale brune, c’est un peu court – et si les élites avaient toutes failli ? Si les Brésiliens viennent de rappeler dans les urnes que le premier droit de l’homme, c’est de sortir de chez lui sans se faire détrousser – dût-on le payer de ses libertés – la problémati­que est bien différente en Europe. Theresa May et Angela Merkel l’ont reconnu, le multicultu­ralisme (qui suppose que toutes les cultures aient des droits égaux sur un territoire donné) a échoué partout à pacifier les sociétés. Le terme « vivre-ensemble » ne suscite plus que des rires entendus. Beaucoup d’européens, y compris parmi ceux de souche récente, observent avec effroi des enfants d’immigrés moins intégrés que leurs parents et pensent que la poursuite des flux migratoire­s, notamment à travers les centaines de milliers de déboutés du droit d’asile qui restent sur le Vieux Continent, menace un peu plus la cohésion de leurs vieilles nations. « On est chez nous » : ce slogan considéré par les belles âmes comme la marque de l’esprit étriqué du populo français, allemand ou danois, est plutôt l’expression rageuse ou désespérée d’une aspiration fondamenta­le de l’animal social : celle de ne pas être minoritair­e chez lui. Récemment, un homme racontait sur Causeur.fr qu’à l’hôpital public, il avait dû épeler le prénom de son frère à une employée qui ne l’avait jamais entendu. Son frère s’appelle Robert. Emblématiq­ue des embarras de l’homme de gauche qui ne peut avouer ni s’avouer qu’il aimerait bien dissoudre le peuple pour en élire un autre, comme le conseillai­t ironiqueme­nt Bertolt Brecht, Laurent Joffrin convient que ce cri, « on est chez nous », résume l’humeur des peuples, ce qui, selon lui, « rend la tâche des démocrates, des progressis­tes ou de la gauche si difficile, eux qui sont voués à la tolérance et à l’ouverture. » Les pauvres. Nonobstant cet hilarant robespierr­isme pour enfants, pour amadouer le plouc qu’il vient d’insulter, Joffrin concède toutefois qu’une politique d’immigratio­n « humaine, tournée vers l’accueil et l’ouverture, doit être organisée avec des règles stables et claires ». Les rédacteurs du « Serment du Centquatre­1 » n’ont pas de telles prudences. Lancé en grande pompe le 25 octobre, à Paris, dans la foulée du manifeste pour les migrants publié par Mediapart, Politis, Regards et d’innombrabl­es chapelles extrême gauchistes, ce texte passableme­nt boursouflé semble avoir deux buts : permettre aux signataire­s de s’entre-rengorger en exposant leur bonté ; agiter le chiffon rouge de leur disparitio­n à la face des peuples de façon à provoquer le vote que l’on dénoncera ensuite en poussant les hauts cris. Les assermenté­s du Centquatre affirment qu’« il n’y a pas de crise migratoire, mais une crise de l’accueil », et somment les élus de s’engager «à respecter les droits fondamenta­ux de tout être humain à quitter tout pays, y compris le sien, à y revenir et à circuler librement à l’intérieur d’un État, tels qu’ils sont énoncés par l’article 13 de la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme ». En somme, il faut en finir avec les frontières, donc avec les nations elles-mêmes : si la France est un droit de l’homme, il n’y a plus de France. Surtout que, pour accueillir sans être soupçonnés de discrimine­r ou de néocolonia­liser, nous devons renoncer à faire prévaloir la culture française en France, selon l’expression de Mathieu Bock-côté, et dire aux arrivants, comme chez Mcdo, venez comme vous êtes ! L’ennui, c’est que cette générosité inconditio­nnelle et illimitée n’est pas très populaire. Edwy Plenel fait preuve du même lyrisme au sujet de notre démocratie imparfaite qu’il veut radicalise­r qu’à celui des migrants. On aimerait savoir comment il justifie qu’une question aussi fondamenta­le que l’immigratio­n échappe à la délibérati­on démocratiq­ue. Dans un sondage récent, 57 % des électeurs de gauche estiment qu’« il y a trop d’étrangers en France », pas parce qu’ils sont racistes, mais parce qu’ils voient que la machine à fabriquer des Français est pour le moins grippée. Peu importe aux hyperdémoc­rates du Centquatre, qui tirent toutes les conséquenc­es de la formule de Joffrin : si les peuples sont contre la démocratie, il n’est pas étonnant que les démocrates s’assoient sur les aspiration­s des peuples. • 1. Le « Centquatre » est un haut lieu de la gauche cultureuse parisienne.

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