Causeur

Le fond du populisme, c'est sa forme

- Pierre-andré Taguieff

À force d’être enrôlé à tout bout de champ par le discours politique et médiatique, le terme « populisme » s’est vidé de son sens. Désignant des leaders et mouvements politiques aux idéologies antagoniqu­es, cette étiquette souvent infamante qualifie avant tout un style que les néonationa­lismes remettent désormais au goût du jour.

On dénonce ou on célèbre bruyamment le « populisme », mais on ne se presse pas pour le définir. Certes, les politistes académique­s font leur travail, les uns analysent les « populismes » dans le monde ou dans telle région du monde, ils les comparent et étudient leurs évolutions respective­s, les autres constatent le « retour du populisme » et en décrivent les différents aspects en Europe ou aux États-unis, tandis que les politiques et les journalist­es s’inquiètent ou font mine de s’inquiéter de la « montée du populisme ». Populisme : tel est désormais, dans les médias, le nom de la menace, voire de l’ennemi. On peut s’en féliciter, avec un grain d’ironie : il n’y a pas de politique sans désignatio­n de l’ennemi, ce dernier serait-il largement fantasmé, voire chimérique. Mais il n’y a toujours pas de consensus sur ce qu’est « le » populisme, notion floue et terme d’usage polémique, devenu depuis une trentaine d’années, dans le discours politico-médiatique dominant, une étiquette diabolisan­te. Et l’on est en droit de douter qu’un accord soit possible sur la définition du phénomène polymorphe et ambivalent nommé populisme.

Le conflit des interpréta­tions et l'idéalisati­on du peuple

Nous sommes enclins à projeter hâtivement sur le populisme nos craintes, nos hantises, nos rejets, nos répulsions. Mais aussi, depuis quelques années, et non sans naïveté, nos aspiration­s et nos espoirs. Quelques intellectu­els marginaux, surtout à l’extrême gauche, osent aujourd’hui y projeter leurs rêves d’une démocratie « radicale », qu’ils baptisent « populisme de gauche ». On attend toujours de leur part une définition rigoureuse de ce qu’ils entendent par « radical » ou « radicalise­r ». S’agit-il simplement, selon la formule célèbre de Marx, de « prendre les choses par la racine », la racine étant « l’homme lui-même » ? Mais quelle peut en être la traduction politique ? Une politique « humaniste » ou « à visage humain » ? La formule est aussi usée que « politique de civilisati­on ». La pensée vague et sloganique des intellectu­els de gauche répond en sortant les vieux mots magiques, mis en branle par l’opérateur progressis­te (« toujours plus ») : toujours plus d’égalité et de liberté. Refrain connu et réconforta­nt pour certains, mais programme politique un peu court, qui flotte dans le ciel des abstractio­ns… Le conflit des interpréta­tions tourne autour du sens et de la valeur qu’on accorde au peuple. Alors que les adeptes de l’individual­isme libéral se méfient du peuple, sujet collectif soupçonné d’obéir à des passions négatives ou d’avoir des réactions irrationne­lles, qu’ils diabolisen­t en conséquenc­e, les dénonciate­urs du néolibéral­isme ou du capitalism­e mondialisé procèdent à une inversion de la diabolisat­ion : ils transfigur­ent le mauvais sujet et tendent à l’angéliser, ils l’investisse­nt d’une promesse de salut. C’est cette immaculée conception du peuple, naïve ou feinte, qui forme le socle du prétendu populisme de gauche. Comme le notait Leszek Kolakowski en 1957 : « La gauche sécrète les utopies comme le pancréas l’insuline, en vertu d’une loi naturelle. »

Bref coup d'oeil sur la confusion

Ce qu’on appelle populisme depuis le milieu des années 1980 renvoie confusémen­t à trois phénomènes politiques distincts supposés connus : l’extrême droite, le nationalis­me et la démagogie. Et ce, alors même qu’on peut voir dans les mobilisati­ons dites populistes l’expression d’une demande de démocratie « véritable », « authentiqu­e » ou « vivante », qu’on ne saurait dire « extrémiste » ni « de droite ». Et aussi, alors que le principe de la souveraine­té du peuple est célébré par les populistes assumés ou désignés non moins que par leurs ennemis qui se disent « démocrates ». Mais l’on sait que la démagogie suit la démocratie comme son ombre. La difficulté tient selon moi à ce que le popu- →

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Hugo Chávez embrassant un crucifix lors d'une apparition au palais présidenti­el de Miraflores, Caracas, 4 juillet 2011.

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