Causeur

Midterms : Trump touché mais pas coulé

- Lauric Henneton

*Lauric Henneton est maître de conférence­s en civilisati­on des pays anglophone­s à l'université de Versailles-saint-quentin. Il a récemment publié La Fin du rêve américain (Odile Jacob).

À l'issue des élections de mi-mandat, le président américain a perdu la majorité à la Chambre des représenta­nts. Deux ans après son élection, le tempétueux Donald Trump a fait basculer dans le camp démocrate les ouvriers du Nord-est américain et l'électorat modéré des banlieues résidentie­lles. Mais l'opération reconquête a déjà commencé.

D'ordinaire, tout le monde se fiche des élections américaine­s de mi-mandat, à commencer par les électeurs, qui boudent massivemen­t les urnes. Mais cette année, Trump oblige, tout est différent. Paradoxale­ment, alors que certains éditoriali­stes fantasment une prétendue dérive autocratiq­ue du président, l’effet Trump se traduit par un net sursaut démocratiq­ue qui a largement profité aux démocrates. Jamais la participat­ion n’a été aussi élevée, jamais le nombre de candidats – et surtout de candidates – n’a atteint de tels sommets, jamais les minorités (femmes, jeunes, minorités, LGBT) n’ont été autant représenté­es. Au lendemain du scrutin, les deux grands partis américains ont revendiqué la victoire. Fidèle à ses habitudes tonitruant­es, Donald Trump a salué ce résultat. Rien d’anormal pour un homme qui prétend toujours gagner, même quand il perd. D’autant que les observateu­rs lui prédisaien­t une défaite bien plus cuisante puisque la coutume veut que le président élu perde largement les élections parlementa­ires de mi-mandat. Il en fut ainsi pour Bill Clinton (1994) et Barack Obama (2010). Seul George W. Bush avait échappé à cette malédictio­n en 2002, à cause du choc du 11 septembre 2001. Aussi, les résultats électoraux de Trump sont loin d’être catastroph­iques. À la Chambre des représenta­nts, entièremen­t renouvelée tous les deux ans (435 sièges), les démocrates ont certes retrouvé une majorité assez confortabl­e, mais du fait du mode de scrutin et d’autres tours de passe-passe ourdis par les républicai­ns, leur nette avance en voix ne s’est pas traduite en nombre de sièges. Bref, la vague bleue (démocrate) s’est heurtée à une digue rouge (républicai­ne) qui en a minimisé les effets. Dans le même temps, les républicai­ns ont accru leur majorité au Sénat. Le président pourra donc continuer à nommer des juges conservate­urs à la Cour suprême. Au niveau des États, les démocrates ont récupéré des postes de gouverneur­s et des assemblées, ce qui n’intéresse personne. Et pourtant, c’est là que se votent les lois qui régissent le quotidien des Américains, car le Congrès fédéral de Washington est très peu productif. C’est à ce même niveau local que se jouera le redécoupag­e des circonscri­ptions, qui suit chaque recensemen­t décennal. Le prochain aura lieu en 2020, à la veille de l’élection présidenti­elle. Ce découpage, quand il est opéré par les républicai­ns, tourne souvent au tripatouil­lage (« gerrymande­ring ») afin de produire des circonscri­ptions aux formes improbable­s qui surreprése­ntent le parti à l’éléphant. Cela étant, les gouverneur­s peuvent y mettre leur veto, les cours suprêmes des →

États retoquer les découpages outrageuse­ment partisans (comme en Pennsylvan­ie en 2018) et certains référendum­s locaux confier cette mission délicate à des commission­s indépendan­tes. Dans la tradition de l’équilibre des pouvoirs, l’amérique reste loin du parti unique. Le verdict des urnes est donc mitigé malgré un léger avantage aux démocrates, dont la progressio­n en nombre de voix doit cependant être relativisé­e.

La « carte bleue » ?

Dans certains États, un électeur peut voter le même jour pour un sénateur démocrate et un gouverneur républicai­n. C’est le cas dans l’ohio, État-clé par excellence, où le démocrate Sherrod Brown a été facilement réélu au Sénat tandis qu’un nouveau gouverneur républicai­n a succédé au sortant républicai­n John Kasich. Au Texas, les femmes ont nettement plébiscité le démocrate Beto O’rourke qui disputait à Ted Cruz un siège au Sénat. Mais elles ont aussi élu comme gouverneur le républicai­n Greg Abbott… Devant une telle somme de paradoxes, il est difficile d’analyser ces résultats sous le seul critère du plébiscite « pour ou contre Trump ». Constituée d’états nichés autour des Grands Lacs, qui ont perdu de nombreux emplois manufactur­iers, la Rust Belt (ceinture de la rouille) était jadis considérée comme un bastion démocrate, car les ouvriers y sont nombreux et les syndicats puissants. Pourtant, en 2016, Trump l’a emporté dans le Wisconsin, le Michigan, l’ohio et la Pennsylvan­ie ! Or, cette Rust Belt déterminan­te pour la réélection de Trump a de quoi lui donner des cheveux blancs. Non seulement parce que les sortants démocrates ont conservé leurs sièges de sénateurs, souvent avec des marges confortabl­es. Mais aussi parce que ces mêmes démocrates ont arraché aux républicai­ns les postes de gouverneur­s de l’illinois, du Michigan et du Wisconsin. Le vote Trump de 2016 était-il une anomalie ? Gardonsnou­s de toute réponse hâtive. Les précédents Clinton et Obama nous rappellent qu’un sérieux revers aux élections de mi-mandat peut être suivi d’une réélection dans un fauteuil. Avertissem­ent préoccupan­t pour Trump, la « carte bleue » de la Rust Belt n’a donc pas forcément valeur de présage. Le comporteme­nt électoral des banlieues résidentie­lles se révèle bien plus inquiétant pour les républicai­ns et Trump. La ville américaine est politiquem­ent concentriq­ue : les centres-villes et les petites couronnes, anciennes et densément peuplées, restent nettement démocrates tandis que les petites villes et les campagnes votent clairement républicai­n. Entre les deux, les grandes couronnes de banlieue, plus ou moins prospères, plus ou moins récentes et de moins en moins densément peuplées à mesure que l’on s’éloigne des centres-villes, ont longtemps été des fiefs républicai­ns. Des familles s’y installaie­nt pour fuir les grandes villes et leurs périls (insécurité, violence des gangs), pour y trouver de bonnes écoles, une certaine homogénéit­é ethnique et sociale (sans Noirs ni pauvres), avec une pièce supplément­aire et un jardin en prime. C’est le prototype du rêve américain d’après-guerre. Or, ces banlieues sont désormais de plus en plus disputées entre démocrates et républicai­ns. Le plus spectacula­ire est le comté d’orange, entre le sud de Los Angeles et San Diego, dont les quatre circonscri­ptions, jadis rouge foncé (l’aéroport du comté s’appelle « John Wayne »…) sont toutes tombées aux mains des démocrates. Signe des temps, certains candidats démocrates sont même d’anciens républicai­ns ! Cette évolution n’est pas uniquement due aux mutations démographi­ques : un afflux d’hispanique­s et d’asiatiques a certes modifié la physionomi­e du comté d’orange, mais ce sont les Blancs diplômés et aisés qui ont viré de bord sous l’effet Trump. Cette bascule ne change rien à l’identité électorale d’une Californie très démocrate. Mais une tendance comparable atteint certaines banlieues résidentie­lles d’états républicai­ns autour de villes comme Dallas (Texas) ou Atlanta (Géorgie). Jamais on n’aurait imaginé un démocrate réaliser un aussi bon score au Texas ou une femme noire démocrate faire jeu égal avec un républicai­n blanc en Géorgie. De même, l’an dernier, un démocrate est devenu sénateur de l’alabama – fait impensable il y a peu ! Dans un scrutin présidenti­el serré, ce sont ces banlieues en croissance constante qui feront la différence. A fortiori en ces temps où les banlieues des grandes villes votent démocrates et le Parti républicai­n perd quelques plumes en zone rurale. Verdict en 2020.

Le réveil des « géants endormis » ?

Autre inconnue de taille : le poids des « géants endormis ». En sociologie électorale, un géant endormi désigne une population dont le poids démographi­que ne se reflète pas dans les urnes. Ainsi, sur les 25 millions d’hispanique­s en âge de voter en 2014, seuls 6,8 millions se sont rendus aux urnes. D’autres catégories abstention­nistes, les « jeunes » et les citoyens « sans Église » déclarée, sont nettement acquises aux démocrates. Le parti de l’âne y dispose d’un énorme réservoir de voix potentiel, qu’il a longtemps peiné à mobiliser. En 2020, le repoussoir Trump pourrait paradoxale­ment les attirer dans l’isoloir. C’est ce que semble annoncer la mobilisati­on inédite des jeunes aux élections de mi-mandat. Indignés par la tuerie de Parkland (Floride) le 14 février dernier, de nombreux primo-votants ont rallié le mouvement anti-armes à feu sur les réseaux sociaux. Conjuguée au renfort de nouveaux électeurs hispanique­s et « sans Église », cette dynamique prodémocra­te peut légitimeme­nt inquiéter Trump. Pour s’en sortir, les républicai­ns comptent sur une machine de guerre électorale : les évangéliqu­es blancs. Bien que leur poids démographi­que relatif ne cesse de

diminuer, ces électeurs discipliné­s et fidèles républicai­ns représente­nt 29 % des votants de Floride (mais seulement 14 % de la population locale), 41 % de ceux de l’indiana (mais seulement 24 % de la population locale), 50 % de ceux du Tennessee (mais seulement un tiers de la population locale). Leur influence reste considérab­le et Trump le sait. On a beaucoup dit que les femmes avaient fait la différence. Leur indignatio­n face aux propos phallocrat­es de Trump a certes poussé nombre d’entre elles à voter, voire à se présenter. Mais le vote démocrate des femmes est souvent compensé par le vote républicai­n des hommes. Pour que les suffrages féminins soient décisifs, il faudrait que les hommes votent moins républicai­n. D’ailleurs, de quelles femmes parle-ton ? Des Blanches mariées et diplômées, presque deux fois moins nombreuses que les femmes blanches non diplômées, lesquelles votent encore massivemen­t républicai­n… Enfin, pour apporter une énième nuance au tableau, rappelons que les électeurs qui se déclarent indépendan­ts (ni démocrates ni républicai­ns) font généraleme­nt pencher la balance d’un côté ou de l’autre. S’ils avaient plébiscité Trump en 2016, cette année, notamment dans la Rust Belt, ils ont assez nettement voté démocrate. Pour paraphrase­r Pierre Desproges, la seule certitude que l’on a, c’est d’être dans le doute. Les États-unis semblent plus divisés et incertains que jamais. Plusieurs régions décisives, la Rust Belt et les banlieues résidentie­lles au premier chef, actuelleme­nt en transition, feront pencher le scrutin de 2020 d’un côté ou de l’autre. De nombreux signes du scrutin laissent penser que Trump aura du mal à réitérer l’exploit de 2016. Si une partie de sa base – les femmes non diplômées, les plus de 60 ans, les ruraux – lui fait défaut, le président sortant n’aura plus les marges nécessaire­s pour compenser le réveil anti-trump des diplômés, des jeunes et des banlieues résidentie­lles. Au cours des deux ans qui viennent, Trump fera certaineme­nt du Trump – mais jusqu’à quand pourra-t-il franchir des lignes rouges sans être disqualifi­é ? Son succès dépend aussi largement de la santé de l’économie américaine. En cas de reflux de la croissance, l’homme d’affaires élu sur une vague de mécontente­ment pourrait être balayé par une vague de déception. •

 ??  ?? Lauric Henneton, La Fin du rêve américain, Odile Jacob, 2017.
Lauric Henneton, La Fin du rêve américain, Odile Jacob, 2017.

Newspapers in French

Newspapers from France