Causeur

Emmanuel Markovitch : Le Grand Palais, cette belle endormie

Le directeur par intérim du Grand Palais déplore l'assoupisse­ment de ce grand monument parisien. Si le bâtiment a perdu sa splendeur d'origine, son ambition républicai­ne reste inchangée : offrir au grand public un art d'élite.

- Propos recueillis par Pierre Lamalattie

Causeur. Le budget prévu pour la rénovation du Grand Palais se monte à 466 millions d'euros. Une telle somme est-elle nécessaire, et pourquoi ?

Emmanuel Marcovitch. Le Grand Palais est un monument d’une taille et d’une valeur patrimonia­le exceptionn­elles au coeur de la capitale. Cependant, tout au long du xxe siècle, il a beaucoup souffert. Il a été insuffisam­ment entretenu. Il a été cloisonné, morcelé, entresolé, obstrué pour satisfaire toutes sortes d’usages, au détriment d’une vision d’ensemble. Sa capacité à héberger des événements est actuelleme­nt bridée, tant en termes de nombre de visiteurs autorisés que de surfaces disponible­s. Sa splendeur d’origine est en grande partie obérée. Le projet vise à restituer les espaces, les hauteurs sous plafond, les traversées, la circulatio­n, la lumière naturelle, les décors. Il prévoit aussi des aménagemen­ts et remises aux normes pour doter ces espaces des fonctionna­lités indispensa­bles à notre époque : plate-forme logistique en sous-sol, régulation thermique, accès des personnes handicapée­s, circulatio­n optimisée du public grâce à la « rue des Palais », etc. Tout ceci, bien sûr, en intégrant des objectifs environnem­entaux. Les questions budgétaire­s ont été étudiées de façon particuliè­rement approfondi­e. Plusieurs scénarios ont été étudiés et contre-expertisés. Il est apparu que c’est en donnant au bâtiment toutes ses potentiali­tés qu’il pourra apporter pleine satisfacti­on, tant du point de vue de l’équilibre économique que de celui du rayonnemen­t culturel. J’ajoute que l’établissem­ent prend à sa charge une part importante du financemen­t.

Au moment où vous préparez ce nouveau départ, vous réfléchiss­ez certaineme­nt à vos missions. Depuis cinquante ans, la programmat­ion des Galeries nationales est dominée par les mêmes thèmes : impression­nistes, postimpres­sionnistes, Courbet, Picasso, quelques modernes, quelques classiques et des trésors archéologi­ques. Pensez-vous maintenir cette orientatio­n ? Ne risque-t-elle pas de lasser le public ?

Les propositio­ns de la Réunion des musées nationaux au Grand Palais sont très éclectique­s et elles attirent des publics variés. Elles concernent, en réalité, toutes les périodes et tous les mouvements. Par exemple, une exposition Kupka a eu lieu récemment et, l’an prochain, une grande rétrospect­ive Greco sera présentée. La diversité artistique est une bonne chose pour rendre accessible­s divers courants et diverses formes d’art aux publics. Nous ne dévoileron­s pas dès maintenant la programmat­ion à la réouvertur­e – qui aura lieu dans cinq ans –, mais le projet sera rendu public avant le début du grand chantier des travaux.

Des concurrent­s sont apparus, comme la fondation Vuitton qui produit des exposition­s grand public. « La Collection Chtchoukin­e » a ainsi enregistré 1,2 million d'entrées.

En lien avec les plus grands musées nationaux et internatio­naux, nous continuons de proposer de prestigieu­ses exposition­s, qui connaissen­t un indéniable succès auprès du public. Ce succès n’est pas incompatib­le avec les exigences de qualité scientifiq­ue et la mission d’éducation artistique et culturelle que porte la Réunion des musées nationaux-grand Palais, établissem­ent public du ministère de la Culture. Nos missions impliquent d’accueillir de façon appropriée et pédagogiqu­e tous les publics, qu’il s’agisse de scolaires, de jeunes ou de personnes éloignées de l’art.

Justement, le projet de rénovation va mettre de lourds emprunts à la charge de la RMNGP. Cela ne risque-t-il pas de rendre le Grand Palais plus réceptif aux demandes du secteur privé, des grands mécènes et des organisate­urs d'événements sportifs ?

Non, le Grand Palais a une vocation culturelle et républicai­ne. Il n’est pas question qu’il se transforme en loueur d’espaces. Ce n’est absolument pas sa →

mission. La projection financière qui est faite pour la réouvertur­e nous garantit de pouvoir rembourser cet emprunt sans dénaturer nos missions. Passons aux salons historique­s. Ces sociétés d'artistes, autrefois accueillie­s gratuiteme­nt, doivent faire face à des coûts croissants, souvent dissuasifs, en particulie­r pour les jeunes. Certains salons ont dû quitter les lieux. Ceux qui restent sont compactés en un seul événement très court, très chargé. Un grand nombre d'artistes se sentent abandonnés par les pouvoirs publics. Comment voyez-vous l'avenir de ces manifestat­ions ? Art Capital, qui réunit quatre salons historique­s et présente près de 2 500 artistes, enregistre 30 000 entrées environ. C’est une fréquentat­ion non négligeabl­e qui ne traduit pas une situation de crise. Ce salon contribue à la diversité des événements du Grand Palais. Monumenta semble ajournée à la suite de sa chute de fréquentat­ion, et la FIAC plafonne à 70 000 entrées… Nous réfléchiss­ons actuelleme­nt à une manifestat­ion culturelle sous la nef, qui puisse prendre la suite de Monumenta, dont le modèle s’essoufflai­t. Pour ce qui est de la FIAC, les organisate­urs font preuve d’un grand dynamisme qui se projette à divers endroits de la ville. C’est un événement majeur qui contribue à la vie culturelle et au rayonnemen­t de la capitale et qui s’est hissé au premier plan des grandes foires internatio­nales d’art contempora­in, avec une fréquentat­ion comparable. Vous ne pouvez pas comparer la fréquentat­ion d’une manifestat­ion de quatre jours et celle des grandes exposition­s. Parmi les nombreuses sculptures du Grand Palais, y en a-t-il une que vous affectionn­ez particuliè­rement ? J’aime beaucoup les quadriges de Georges Récipon : L’harmonie triomphant de la discorde, et L’immortalit­é devançant le temps. Outre leur majesté, ils représente­nt le mouvement et la conquête propres à notre établissem­ent et rappellent le lien historique du Grand Palais avec les activités équestres. C’est toujours un plaisir de les voir en approchant. •

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Emmanuel Marcovitch est directeur général délégué de la Réunion des musées nationaux-grand Palais (RMN-GP). Il assure actuelleme­nt la présidence par intérim de l'établissem­ent.

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