Causeur

Rapt en douce

Une affaire de famille, de Hirozaku Kore-eda Sortie le 12 décembre 2018

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Il est parfois des Palmes d’or méritées. Celle décernée cette année au Festival de Cannes en fait assurément partie. Elle se détache donc d’un palmarès par ailleurs en tout point erratique et décevant. Il est vrai que confier chaque année le palmarès du plus grand Festival de cinéma au monde à une brochette de profession­nels de la profession tendance glamour relève du pari fou, la plupart d’entre eux n’allant jamais ou presque au cinéma le reste du temps. Comme pourrait le dire Blanche Gardin : où trouveraie­nt-ils le temps alors qu’ils sont accaparés par tant de choses essentiell­es comme le maquillage, la pub pour une marque de café ou la signature d’une pétition humanitair­e… ? Hasard ou vrai coup de coeur, le nouveau film du très talentueux, mais inégal, cinéaste japonais Kore-eda, Une affaire de famille, a remporté la récompense cannoise et ce n’est que justice. Depuis Ozu, au moins, on sait que le cinéma japonais braque régulièrem­ent sa caméra sur la famille nippone, sa structure, son fonctionne­ment, ses forces et ses faiblesses. À la différence de ce qui se fait en Occident, la famille n’est guère vue sous l’angle de la comédie et a fortiori de la farce… Ici, point de La vie est un long fleuve tranquille pour dire la pesanteur d’un contexte social qui ne prête guère à rire. Déjà auteur par le passé de Nobody Knows, film traitant d’un sidérant fait divers familial, son meilleur film à ce jour, Kore-eda retrouve avec son film palmé le meilleur de son inspiratio­n avec, de temps en temps, un humour et une distance tous deux réjouissan­ts et salutaires. Il alterne même le chaud et le froid, comme la simple lecture du synopsis le laisse penser. Une affaire de famille raconte l’histoire d’une troupe liée par le sang, pas forcément recommanda­ble, mais pour qui nécessité fait loi. Dans cette famille nippone, le père excelle dans le vol à l’étalage et forme son rejeton de 12 ans à cet art tout en subtilités manuelles. La mère, qui travaille en usine, est la seule salariée de la bande. La soeur aînée trouve son gagne-pain dans un peep-show et la grand-mère pratique l’arnaque comme d’autres font du vélo. Quant à la maison de famille, elle frôle le taudis où chacun a péniblemen­t sa place réservée. On peut se demander si, dans ces conditions, il est bien raisonnabl­e d’agrandir ce cercle peu vertueux en recueillan­t une petite voisine de quatre ans que ses parents battent manifestem­ent sans réserve. C’est pourtant ce qui se passe et tout l’équilibre du film repose sur cette adoption illégale, en douce. Ni vu ni connu, je t’élève. Les Shibata, c’est le nom de la famille, sont comme ça : capables d’un rapt sans rançon qui chez eux devient tout simplement une adoption. Ou comment les hors-la-loi font leurs lois. Ils sont, en effet, pauvres comme Job mais détachés du misérabili­sme par la volonté d’un cinéaste qui s’applique à ne jamais tomber dans les travers d’une Nadine Labaki et de son récent, calamiteux et lui aussi familial Capharnaüm. Le propos se fait un peu plus complexe encore quand on découvre, mais ne dévoilons rien

ici, que le tropisme intégrateu­r ne date pas d’hier dans cette famille pas comme les autres. Pour de bonnes et de mauvaises raisons. Loin d’être lénifiant, Kore-eda achève son tableau familial avec la rigueur d’un peintre de l’intime. Par petites touches, il nous a fait pénétrer à l’intérieur d’un univers où les certitudes vacillent sans qu’il faille nécessaire­ment pour autant détruire tout l’édifice. •

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Kairi Jyo et Miyu Sasaki dans Une affaire de famille, de Hirokazu Kore-eda.
 ??  ?? Un air de famille, de Hirokazu Kore-eda.
Un air de famille, de Hirokazu Kore-eda.

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