Causeur

C'ÉTAIT ÉCRIT JULES LAFORGUE, DÉPRESSIF SAISONNIER

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c'est que la fiction précède souvent la réalité. La littératur­e prévoit l'avenir. Cette chronique le prouve.

- Par Jérôme Leroy

Mais qu’ont-ils donc, tous nos poètes ou presque, quand arrivent les mauvais jours ? Pour Baudelaire, c’est « Pluviôse, irrité contre la ville entière », « Le ciel bas et lourd […] comme un couvercle » et ces moments où « Rien n’égale en longueur les boiteuses journées, / Quand sous les lourds flocons des neigeuses années / L’ennui, fruit de la morne incuriosit­é / Prend les proportion­s de l’immortalit­é. » Pour Verlaine, on en arrive même à l’hallucinat­ion auditive : « Les sanglots longs / Des violons / De l’automne / Blessent mon coeur / D’une langueur / Monotone. » Quant à Apollinair­e, il ne va guère mieux : « Je regrette chacun des baisers que je donne / Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs / Mon Automne éternelle ô ma saison mentale. » Si l’on en croit les pages santé des journaux de ces dernières semaines, le symptôme est pourtant clairement identifié : il s’agit de la « dépression saisonnièr­e » qui touche chaque année 4 millions de Français souf- frant de ce « TAF » – comprendre, derrière cet acronyme disgracieu­x, « trouble affectif saisonnier ». Dans un entretien à Atlantico, Adeline Gaillard, psychiatre à Sainte-anne le décrit ainsi : « Une humeur triste, une perte des envies, un sentiment de culpabilit­é avec parfois des idées noires, une fatigue intense, une pensée ralentie, des altération­s du sommeil et de l’appétit, des difficulté­s de concentrat­ion et de mémorisati­on. » On pourrait trouver, point par point, ces symptômes chez nos poètes qui eux préféraien­t parler de spleen. Par exemple, le trop peu lu Jules Laforgue (1860-1887) dans L’hiver qui vient, un des premiers poèmes en vers libres de notre littératur­e, commence par cette célèbre exclamatio­n qui résume parfaiteme­nt l’état d’esprit du dépressif saisonnier : « Blocus sentimenta­l ! » Il pourrait consulter le docteur Gaillard et lui confier ses angoisses : « C’est la saison, oh déchiremen­ts ! c’est la saison ! » En précisant : « La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année, / Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !... » Il lui expliquera­it le manque de lumière, si douloureux : « Soleils plénipoten­tiaires des travaux en blonds Pactoles / Des spectacles agricoles, / Où êtesvous ensevelis ? », mais elle le rassurerai­t immédiatem­ent : « Nous sommes facilement sujet au coup de blues hivernal et pour certains, à la dépression saisonnièr­e, car notre organisme est sensible à l’exposition à la lumière. Dans notre cerveau se trouve une petite structure, la glande pinéale, qui produit de la mélatonine lorsque la luminosité diminue. » D’ailleurs, pour son « TAF », elle lui conseiller­ait vivement la « luminothér­apie ». On nous permettra, pour notre part, de préférer la poésie… •

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