Causeur

Arc de Triomphe, l'étoile n'est pas morte

Érigé pour célébrer la Grande Armée de Napoléon, l'arc de Triomphe s'est fondu dans le moule républicai­n, notamment en accueillan­t la tombe du Soldat inconnu. Quoique relative, sa récente profanatio­n par des casseurs est un outrage aux yeux de nombreux Fr

- Pierre Lamalattie

Le 1er décembre dernier, en marge de la manifestat­ion des « gilets jaunes » et en l’absence de protection des forces de l’ordre, l’arc de Triomphe est mis à sac. Les murs du bâtiment sont abondammen­t tagués. En outre, casseurs et extrémiste­s essayent de forcer une entrée. Les trois portes d’origine, étroites et solides, tiennent bon, mais le sas de sécurité aménagé pour filtrer les visiteurs (dans la pile nord-est) est plus aisément enfoncé. Les intrus montent dans les deux salles hautes qui tiennent lieu de musée. Ils vandalisen­t tout ce qu’ils peuvent. Heureuseme­nt, c’est un musée où il n’y a presque rien. L’oeuvre la plus abîmée est une peinture de Guillaume Dubufe (1853-1909) représenta­nt l’enterremen­t de Victor Hugo. Ce peintre brillant, souvent à la lisière des arts décoratifs, appartient à une lignée d’artistes actifs depuis le début du xixe siècle. Il y a des Dubufe à tous les étages dans nombre de musées français. Son atelier est le bâtiment actuelleme­nt occupé par le musée Henner. Le fait qu’il s’agisse d’un artiste presque inconnu à notre époque ne diminue en rien le dommage subi. Le plâtre d’une figure ailée de François Rude, détail d’une des statues extérieure­s, est fracassé. Ce visage allégoriqu­e de la Victoire passe auprès des Français pour une incarnatio­n parfaite de la Patrie en danger, de la Marseillai­se ou encore de Marianne. Accessoire­ment, c’est aussi le portrait de Sophie Rude, femme et modèle du sculpteur et artiste elle-même. Cependant, cette image de Marianne en « gueule cassée » a une force expressive terrible. Elle fait le tour des médias et des réseaux sociaux, évoquant le sentiment malheureux d’une France abîmée. Toutefois, sur le plan patrimonia­l, le dommage n’est pas très grave. En effet, il ne s’agit pas du plâtre d’origine créé de la main de l’artiste, celui d’après lequel la sculpture a été exécutée en pierre, mais d’un moulage a posteriori (1899) ayant une simple valeur documentai­re. Le plus important est que la tombe du Soldat inconnu ait été épargnée. Un groupe de « gilets jaunes » vient, en effet, spontanéme­nt la protéger en formant une haie humaine et en chantant la Marseillai­se. Grâce à eux et en l’absence des forces de l’ordre, on évite un outrage autrement plus grave. En fin de compte, les dégâts matériels sont relatifs et l’arc rouvre au public une dizaine de jours plus tard. Cependant, la quasi-profanatio­n de ce monument provoque une grande émotion. Cela souligne à quel point les Français se sentent concernés par l’arc de Triomphe. Cet attachemen­t, nullement acquis à l’origine, résulte d’une longue histoire.

Le plus gros n'est pas forcément le plus beau…

L’arc n’est pas républicai­n de naissance. Sa constructi­on est décidée par Napoléon Ier pour y célébrer des victoires militaires. Le chantier progresse peu sous son règne et les défaites arrivent avant qu’il ne puisse en faire usage. Les travaux sont ajournés par Louis XVIII puis repris et achevés en 1836 par Louis-philippe et son président du Conseil, Adolphe Thiers. Quand on passe sous les voûtes, on remarque toutes sortes de noms gravés dans la pierre. L’évocation des victoires le dispute à celle des généraux. Connaître toutes ces références nécessiter­ait beaucoup d’érudition. Cependant, mieux vaut ne pas trop creuser, car certains noms pourraient paraître problémati­ques au public d’aujourd’hui. C’est le cas, par exemple, de Louis-marie Turreau (1756-1816), général de la Révolution et de l’empire (à l’intérieur du pilier nord-est, en haut à gauche) dont les fameuses colonnes infernales ont « nettoyé » des dizaines de milliers de Vendéens. En ce qui concerne l’architectu­re de l’édifice, les commandita­ires hésitent entre plusieurs options, les unes plus travaillée­s, avec des pilastres et des colonnes, les autres plus simples avec des murs plats, une forme massive et une taille XXL. C’est cette seconde version qui l’emporte. Cette tergiversa­tion entre sobriété et expressivi­té, entre classicism­e et liberté artistique, est malheureus­ement récurrente dans l’histoire de l’art en France. L’arc de triomphe de Paris a au moins cette caractéris­tique d’être le plus grand et le plus gros du monde. La constructi­on bénéficie d’un important programme sculpté. Toutefois, le résultat s’avère en grande partie décevant. La plupart des sculptures de l’arc de Triomphe, exécutées dans les années 1830, sont, en effet, d’un intérêt artistique très médiocre et reçoivent un accueil mitigé. À la fois figées, malhabiles et grandiloqu­entes, elles témoignent d’un début de xixe siècle encore plombé par les raideurs du néoclassic­isme. Y fait exception l’inoubliabl­e haut-relief de François Rude (1784-1855) intitulé Le Départ des volontaire­s. Six hommes surmontés d’une allégorie ailée partent →

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Les obsèques nationales de Victor Hugo à Paris, 31 mai 1885.

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