Causeur

Quand la viande fait un effet boeuf

À l'heure des razzias vegan contre les boucheries, il est grand temps de réhabilite­r la viande. Pour privilégie­r la qualité sur la quantité, voici une sélection de bonnes adresses parisienne­s proposant des pièces de veaux, vaches, canards et cochons d'exc

- Emmanuel Tresmontan­t

Apportez le jeune taureau, sacrifiez-le, mangeons-le et réjouisson­s-nous, parce que mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie. » (Luc, 15) Dans la Bible (Genèse, XVIII), Abraham reçoit la visite de trois hommes, qu’il identifie immédiatem­ent comme des messagers de Yahvé. « Réconforte­z votre coeur, après quoi vous pourrez continuer votre chemin », leur dit-il. Il ordonne à sa femme Sarah de leur préparer trois galettes de fleur de farine, puis court au gros bétail et s’empare d’un « veau tendre et bon » qu’il prépare et sert lui-même à ses invités avec du beurre et du lait. Les Hébreux n’étaient donc pas végétarien­s, mais considérai­ent la viande comme un mets divin, rare et précieux, qu’il fallait honorer, savourer et réserver aux grandes occasions. Pour les Romains, qui étaient des gens pragmatiqu­es, comme chacun sait, le mot latin vivanda désignait tout ce qui sert à conserver et à renforcer la vie. Ainsi, par extension, le mot « viande », qui est l’un des plus anciens de la langue française, fut créé pour appeler, au Moyen Âge, toutes les nourriture­s et les provisions. Encore au xviiie siècle, madame de Sévigné, nous apprend Alain Rey, parlait de « viandes » au sujet de ses ragoûts et de ses salades de concombre et de noix… Bref, la viande, c’est la vie. Pour conjurer le souvenir des disettes passées (nos parents eurent faim entre 1940 et 1945), nous nous sommes mis, depuis les Trente Glorieuses, à nous empiffrer de barbaque quasiment à chaque repas, ce qui est une aberration, ne serait-ce que pour notre corps qui est incapable d’assimiler à fortes doses l’acide urique contenu dans la viande et qui est responsabl­e de la fameuse goutte, endurée notamment par les mangeurs de gibiers faisandés. Banalisée, insipide, indigeste et chargée de souffrance animale, la viande a donc perdu aujourd’hui son aura sacrée et son statut d’objet culturel (contrairem­ent au vin, au pain et au fromage). Les grands chefs, du reste, l’utilisent de moins en moins et lui préfèrent les légumes « grands crus », vendus au prix du caviar, pendant que les mangeurs de tofu attaquent les boucheries et libèrent dans la nature les lapins Rex du Poitou, au nom d’un véganisme fondamenta­liste érigé en contre-culture, comme si acheter des steaks végétaux faisait d’eux des révolution­naires.

Avons-nous donc encore le droit d'aimer la viande ?

Dans le très beau livre illustré consacré à la viande, Louchebem, conçu et édité en 2011 par Valérie Solvit, Claude Lanzmann nous fait part de son amour des bouchers : « Si mon fils, qui vient d’entrer en lettres supérieure­s au lycée Henri IV, m’avait confié son désir de devenir boucher, je lui aurais donné ma bénédictio­n et aurais tout fait pour qu’il soit instruit dans les meilleures écoles et qu’il fasse son apprentiss­age chez les plus grands bouchers. […] Aujourd’hui, le temps des bouchers est venu. Ils exercent le plus noble des métiers et sont les moins barbares des hommes. » Il y a deux mille quatre cents ans, Tchouang-tseu, le fondateur du taoïsme, considérai­t l’art de la découpe, chez les bouchers, comme un modèle de force tranquille, de beauté et de sagesse : « C’est l’esprit qui opère, plus que les yeux. Un médiocre boucher use un couteau par mois, parce qu’il le brise sur les os ; alors qu’un bon boucher use un couteau par an, parce qu’il ne découpe que la chair. Le boucher d’exception garde son couteau toute sa vie, il a travaillé plusieurs milliers de boeufs, son tranchant donne l’impression qu’il vient d’être aiguisé… » Non seulement les bons bouchers sont doux comme des agneaux, non seulement ils maîtrisent l’art de la découpe, mais, à leur contact, on apprend aussi sans cesse quelque chose. Comment, par exemple, un animal doit accomplir sa croissance, de façon harmonieus­e, afin que ses masses musculaire­s et graisseuse­s soient proportion­nées à son squelette. À quel moment de l’année il vaut mieux déguster un canard de Chalosse ou un porc noir de Bigorre (en décembre), un boeuf fin gras du Mézenc nourri au foin d’auvergne et à la réglisse sauvage (à partir de février), un agneau préssalés du mont Saint-michel (pas avant le mois de juin). Comment, surtout, il faut laisser reposer une viande autant de temps qu’on a mis à la cuire. Voici une sélection d’adresses parisienne­s où toutes ces règles sont respectées à la lettre.

Le Mordant

Dans le 10e arrondisse­ment, ce restaurant de 120 m2 occupe la place d’un ancien supermarch­é. Le parquet en chêne est du xixe siècle, les murs en pierre de Paris s’élèvent à quatre mètres de hauteur. Lucas Blanchy, le patron, était naguère sommelier au Lafayette Gourmet. Sa devise est qu’on ne vient pas chez lui pour manger de la cuisine toute molle, mais pour mordre à pleines dents des viandes d’exception, parfaiteme­nt cuites →

 ??  ?? T-bone de taurillon Angus de la Ferme du champ, dans le Perche, servi au restaurant Le Mordant. Cette découpe à l'américaine permet à l'os de transmettr­e ses saveurs au filet pendant la cuisson.
T-bone de taurillon Angus de la Ferme du champ, dans le Perche, servi au restaurant Le Mordant. Cette découpe à l'américaine permet à l'os de transmettr­e ses saveurs au filet pendant la cuisson.

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