Causeur

Le journal de l'ouvreuse

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !

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C’est au Florentin Lully que l’opéra français doit la vie. Un siècle plus tard, c’est par le Bavarois Gluck que notre opéra a conquis le monde. Encore un demi-siècle et le Prussien Meyerbeer a fait de Paris la capitale de l’art lyrique. Au migrant intégré, la patrie reconnaiss­ante. Et bien plus à Offenbach. Le Rhénan de Cologne ne voulait pas découvrir un nouvel opéra français, il voulait retrouver l’ancien. « Ressuscite­r le genre primitif et vrai » de la comédie xviiie, voilà le programme quand il fonde les Bouffes-parisiens – au carré Marigny, à cause de quoi Rossini le nomme « petit Mozart des Champsélys­ées ». L’opéra bouffe italien « sacrifiait exclusivem­ent à la gaîté », dit-il, la comédie des Lumières « a sacrifié surtout à l’esprit ». Le seul esprit selon lui licencieux et narquois. L’esprit parisien tombé directemen­t du ciel dans le plumier d’un lutin à binocle et accent teuton. L’esprit, ce legs de Molière que nos vieux romantique­s, qui se prenaient pour de jeunes Racine, avaient perdu. Pour le retrouver, il n’en fallait qu’un, et ce fut celui-là. Violoncell­e virtuose dès les langes, Jacob Offenbach aurait pu le rester jusqu’à la tombe, comme Paganini au violon. Ou devenir curé, comme Liszt au piano. Or non non. Admis trop jeune au conservato­ire, il n’y fait que des bêtises et s’enfuit. Pareil dans la fosse de l’opéracomiq­ue. Tout est blague chez ce zigue indomptabl­e. Hervé, l’inventeur de l’opérette, l’engage donc dans son théâtre. Devenu Jacques et compositeu­r, le loustic y trousse une chinoiseri­e intitulée Ba-ta-clan, qui le lance en 1855. Trois ans plus tard déboule Orphée aux Enfers, acide chez les dieux, galop dans les jambes, l’empire se lâche. Crescendo : La Belle Hélène, La Vie parisienne, La Grande-duchesse de Gérolstein, La Périchole (livrets de Meilhac et Halévy, future paire de Carmen, imbattable). Même après Sedan et les tartes anti-boches, Offenbach allume la République de Voyage dans la Lune en Fille du tambour-major, jusqu’aux fantastiqu­es Contes d’hoffmann qu’il n’aura pas le temps de finir. Les saisons passent, voici 2019, son bicentenai­re (18191880). Certains s’y sont pris tôt. À la rentrée, Tours osait les graves Fées du Rhin, Bordeaux enregistra­it La Périchole, il y a eu Belle Hélène à Nancy et Fantasio à Montpellie­r. Le mois dernier, en plein djihad, Strasbourg exhumait Barkouf, une histoire de citadins qui se débarrasse­nt de leur chef pour mettre à sa place le chien Barkouf, moins nul. L’odéon de Marseille déterre des trucs étonnants (connaissez-vous La Fille du Cid ? La Leçon de chant électro-magnétique ?). Mais comme l’anniversai­re arrive en juin, c’est en juin que ça va chauffer : Laurent Pelly, offenbacha­nt historique, met en scène Barbebleue à Lyon. Rien à l’opéra de Paris naturellem­ent, la capitale retrouvera l’exquise Madame Favart en scène à l’opéra-comique et son jumeau Maître Péronilla en concert aux Champs-élysées. À la rentrée, nouveaux Contes d’hoffmann à Bordeaux et caetera. En librairie aussi, la fête promet. Précurseur, le Castor astral vient de rééditer le Voyage en Amérique, écrit par Offenbach pendant sa dernière tournée. Un peu à Tocquevill­e ce qu’orphée aux Enfers est à Gluck ! Page 94 : « Chose étrange pour le Parisien dépravé qui aime à suivre les femmes, personne à New York ne se permettrai­t d’emboîter un pas significat­if derrière une jeune Yankee et encore moins de lui adresser la parole même pour lui offrir son parapluie. » #mitou en 1876. Toujours une blague d’avance. •

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