Causeur

C'ÉTAIT ÉCRIT GERMINAL SUR ROND-POINT

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c'est que la fiction précède souvent la réalité. La littératur­e prévoit l'avenir. Cette chronique le prouve.

- Par Jérôme Leroy

En toute logique, cette chronique devrait honorer Christophe Guilluy qui pourrait dire légitimeme­nt, avec ses travaux prophétiqu­es sur la France périphériq­ue : « C’était écrit. » Mais d’autres ont vu venir cette détresse des travailleu­rs pauvres, comme Guy Debord qui nous parlait déjà des « gilets jaunes » dans In girum en 1978 : « Ils sont transplant­és loin de leurs provinces ou de leurs quartiers, dans un paysage nouveau et hostile, suivant les convenance­s concentrat­ionnaires de l’industrie présente. Ils ne sont que des chiffres dans des graphiques que dressent des imbéciles. » Et avant Debord, il y eut nos grands écrivains du xixe qui comprirent très vite que la révolution industriel­le portait en elle cette contradict­ion de l’enrichisse­ment de quelques-uns et de la misère de ceux qui ne pouvaient prétendre qu’à des miettes pour reproduire leur force de travail. Sur n’importe quel rond-point, Zola aurait pu montrer que ce n’était pas le travail qui était remis en cause, mais sa rémunérati­on insuffisan­te, que madame Rasseneur était toujours là, en gilet jaune, depuis Germinal : « Tout est si cher ! reprit madame Rasseneur, qui était entrée et qui écoutait d’un air sombre, comme grandie dans son éternelle robe noire. Si je vous disais que j’ai payé les oeufs vingt-deux sous Il faudra que ça pète ! » Pourtant Zola ne voulait pas que « ça pète », pas plus que Hugo avant lui, qui aurait pu dire devant le gouverneme­nt et les députés LREM ce qu’il disait devant le Sénat en 1851 dans son célèbre discours sur Les Caves de Lille : « Moi aussi, je viens faire ma dénonciati­on à cette tribune. Messieurs, je vous dénonce la misère ! Je vous dénonce la misère, qui est le fléau d’une classe et le péril de toutes ! Je vous dénonce la misère qui n’est pas seulement la souffrance de l’individu, qui est la ruine de la société, la misère qui a fait les jacqueries, qui a fait Buzançais, qui a fait juin 1848 ! Je vous dénonce la misère, cette longue agonie du pauvre qui se termine par la mort du riche ! Poursuivez-la, frappez-la, détruisezl­a ! Car, je ne me lasserai jamais de le redire, on peut la détruire ! » Changement de ton, au siècle suivant, pour le romancier Jean-patrick Manchette, dans L’affaire N’gustro (1978), un roman noir impeccable où un des personnage­s ne voit qu’une seule issue : « Le bordel industriel avancé regorge. Il faut vous décider à m’en donner un peu, parce que si vous continuez à nous en promettre sans nous en donner, à susciter toute cette abondance de misérables désirs, il vous viendra de plus en plus de pauvres, ô mon bordel natal, et des moins arrangeant­s que moi. Voilà pourquoi vous crèverez tous. » Un vrai casseur, celui-là ! •

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